« Augmenter nos prix de 150% ou fermer »: dans son berceau de la vallée de l’Oise, la brosserie traditionnelle française se tourne vers le haut de gamme et les marchés de « niches » pour survivre et préserver son savoir-faire ancestral.
« Chez nous, on fabrique des brosses depuis six générations », explique Daniel Desjardins, en réglant une machine qui ronronne. L’atelier familial, ouvert en 1834 à Mouy, est spécialisé dans les belles brosses à chaussures, en crins de cheval ou soies de sanglier.
« Nos clients sont des fabricants de chaussures luxueuses, comme Berluti ou Weston, ou bien de cirage, comme Saphir », explique-t-il à l’AFP en montrant les tampons aux noms prestigieux utilisés pour le marquage. « On a aussi des brosses pour la bijouterie ou pour l’escalade en salle », afin de nettoyer les prises sur les murs.
Le brossier explique s’être « recentré sur ces petites niches et le haut de gamme » après la crise du secteur dans les années 2000. L’entreprise, qui expédie quelque 20.000 brosses par mois, est passée de dix à trois salariés et s’est recentrée. « Le créneau du luxe, c’est ce qui nous sauve ».
Plus que trois brosseries
L’Oise constitue le berceau et le centre névralgique de la brosserie artisanale française: de nombreux ateliers ont fleuri au XIXe siècle le long du Thérain, profitant de la force motrice de la rivière pour travailler l’os des manches et de la proximité avec Paris, desservie par le train.
Rien que dans son village de Hermes, au cœur de l’Oise, « il y avait 12 brosseries du temps de mon grand-père », témoigne Frédéric Brigaud, dont l’entreprise familiale à Hermes prépare et fournit depuis 1930 tout le secteur en poils de sanglier.
Maintenant, « il n’y a plus que trois fabricants de brosses fines dans toute la France: Desjardins à Cauvigny, la Brosserie française à Beauvais et Fournival Altesse à Mouy », soupire M. Brigaud.
Pour Daniel Desjardins, « c’est l’Europe qui a tout cassé », avec ses ouvriers des pays de l’Est rémunérés « deux fois moins cher ». La plupart des clients se sont précipités vers ces fournisseurs compétitifs, avant de se tourner vers la féroce concurrence du « Made in China ».
Les rares brossiers encore debout sont ceux qui se sont recentrés sur le luxe, comme Fournival Altesse.
Empoilage fait main
Dans leurs ateliers, Enzo Saintomer introduit un foret dans le manche en bois, pour créer les trous qui accueilleront les poils. Fournival Altesse réalise chaque année quelques centaines de brosses entièrement fait main. Vendues 350 euros, elles sont le fruit d’un savoir-faire détenu par « très peu de monde », reconnaît son concurrent Desjardins.
« Ça a l’air simple, mais il faut respecter une certaine inclinaison pour les poils », confie le jeune homme de 23 ans, concentré.
Plus loin, Véronique Vaillant réalise l’empoilage: elle introduit dans la brosse un fil de pêche, qui va plier en deux les poils de sanglier. Un travail qui demande « force et dextérité », explique-t-elle.
Cette gamme constitue une infime partie des 400.000 brosses que l’entreprise fondée en 1875 fabrique chaque année — dont beaucoup retouchées main —, mais est emblématique de sa renaissance.
En 2005, Fournival était en liquidation judiciaire. Quelques années après sa reprise, la brosserie opère un changement stratégique et marketing d’ampleur sous l’impulsion de sa nouvelle PDG Julia Tissot-Gaillard, symbolisé par le passage au nom enjôleur d’« Altesse ».
« On vendait complètement à perte, à des prix ridicules pour le travail fourni », explique Mme Tissot-Gaillard. La dirigeante a donc « pris son bâton de pèlerin » pour aller voir ses clients — Leonor Greyl, La Belle Brosse, Kérastase ou même Dior — et négocier des « augmentations de 100-150% », appuyant sur la qualité des produits.
« On est bien loin des brosses bas de gamme ou en sanglier renforcé », c’est-à-dire mélangé avec du nylon, véritable « triche de la brosserie » qui « n’accroche aucun sébum », affirme-t-elle.
L’entreprise affiche désormais une croissance à deux chiffres et a embauché dix personnes cette année. « Nos efforts payent », se réjouit Mme Tissot-Gaillard: aujourd’hui, « on touche des clients un peu partout dans le monde grâce au luxe ».
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