
Challenges. Votre dernier rapport publié en juin avec Altagamma prévient que le secteur mondial du luxe est confronté à des perturbations historiques depuis au moins 15 ans. Les semestriels publiés ces jours-ci en sont-ils le reflet ?
Joëlle de Montgolfier. La période est en effet compliquée. Nous sommes dans un secteur avec quatre grands marchés – les Etats-Unis, la Chine, l’Europe et le Japon – et sur chacun, il y a beaucoup de turbulences.
Le marché américain, en particulier, qui est le plus gros au monde, est soumis à une incertitude qu’on n’a pas vue depuis longtemps. Les débuts de l’administration Trump ont déstabilisé les marchés financiers, qui représentent le principal investissement des ménages très aisés aux États-Unis. Quant aux classes moyennes, leurs actifs patrimoniaux dépendent surtout de l’immobilier, qui est atone. Donc la consommation de luxe aux Etats-Unis a ralenti jusqu’en mai. Initialement, nous avions projeté une croissance mondiale du luxe entre 0 % et 4 % en 2025. Mais nous avons depuis actualisé nos prévisions, avec plusieurs scénarios dont le plus probable est celui d’une contraction entre 2 et 5 %.
Aux Etats-Unis, un élément vient de changer la donne : la fixation de 15 % de droits de douane. Bonne ou mauvaise nouvelle pour vos clients ?
C’est le résultat de 30 à 40 ans de transformation de l’économie mondiale, avec d’un côté des marchés qui sont devenus des giga-exportateurs comme la Chine ou l’Allemagne et un pays qui est devenu le principal consommateur, à savoir les Etats-Unis. La stratégie du statu quo sans aucune barrière douanière n’était pas tenable pour les Etats-Unis.
Partant de ce constat, 15 % c’est mieux que les 30 % dont on parlait encore il y a quelques jours. Plusieurs observateurs pensent qu’on ne va pas en rester là et qu’on arrivera peut-être à 10 % sur certains produits. En tout cas, le fait qu’on clôture une période d’incertitude est plutôt bénéfique, notamment pour les marchés financiers. Or tout ce qui est bon pour les marchés financiers est bon en termes de capacité de projection pour les ménages les plus aisés, notamment en Amérique.
Selon vous, que vont mettre en place les maisons de luxe pour répercuter ce taux de 15 % ?
Attention, les 15 % ne s’appliquent pas sur le prix final mais sur le coût d’achat. Il n’y aura jamais une répercussion totale des 15 % en termes d’inflation. Par ailleurs, depuis avril, certaines maisons ont déjà augmenté leurs prix aux Etats-Unis, avec une hausse à un chiffre. Le groupe Hermès avait ainsi déjà dit qu’il n’aurait aucun regret à imputer la totalité de l’augmentation en hausse du prix de vente car ses augmentations de prix ont été raisonnables par le passé.
La pire décision pour une entreprise de luxe, dont j’espère me persuader que personne ne la prendra, serait de ne pas toucher aux prix et de rogner sur la marge brute et donc la qualité. Etant donné la situation dans laquelle se trouve le secteur, ce serait une erreur de fond.
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Faut-il s’attendre à des investissements massifs aux Etats-Unis ? LVMH a déjà annoncé le projet d’y ouvrir un nouvel atelier Louis Vuitton.
Cela va dépendre des catégories de produits. Fabriquer aux Etats-Unis des cosmétiques ou des parfums, des produits qui requièrent peu de savoir-faire manuel ou encore à forte teneur technologique ne pose pas de problème. En revanche, sur le luxe tel qu’il a été imaginé en Europe ces dernières années c’est-à-dire celui d’un savoir-faire unique reposant sur des artisans d’exception c’est difficile à imaginer à court terme, parce que les Etats-Unis n’ont pas ce fameux savoir-faire.
La fixation de ces droits de douane à 15 % change-t-elle vos prévisions de trajectoire pour le secteur cette année ?
Oui, dans une certaine mesure. Le premier trimestre était négatif pour le marché mondial du luxe, et le deuxième encore plus, tiré par la sous-performance américaine. Or un début d’amélioration a démarré aux Etats-Unis à partir de mai puis en juin quand les déclarations politiques ont commencé à clarifier la situation. En sortant de l’incertitude, il est donc possible que le plus gros marché du monde inverse la tendance à partir du troisième trimestre. Cela conforterait le scénario que nous avions identifié comme le plus probable d’une contraction entre 2 % et 5 % cette année. Pour un scénario plus positif que ça, il faudrait un redémarrage concomitant de la Chine, qui semble moins crédible à court terme.
Concernant le Japon, la baisse du tourisme dans ce pays a été présentée par LVMH comme la raison principale de la baisse des ventes de sa filiale mode et maroquinerie de 9 %. Que se passe-t-il là-bas ?
Le marché japonais dépend de la dynamique du marché chinois, de même que le marché européen dépend de la dynamique du marché américain, parce que ce sont deux plaques régionales qui bénéficient de flux touristiques significatifs qui ont nourri la croissance ces dernières années. Ce n’est pas le tourisme en lui-même qui ralentit cette année, mais les achats de luxe pendant les voyages touristiques. On était sur deux plaques régionales qui bénéficiaient de taux de change extrêmement attractifs, euro-dollar et yen-renminbi. Or, il y a une telle volatilité macroéconomique que tous les écarts entre les devises se sont réduits, rendant les prix moins attractifs.
Et en Chine ?
Selon nous, le marché domestique de Chine continentale reste absolument stratégique, on ne peut pas se permettre de le quitter. Il va falloir continuer à investir, mais il va rester atone pendant relativement longtemps. L’analyse est un peu la même qu’aux États-Unis : des ménages aisés qui dépendent des marchés financiers dont la performance n’est pas extraordinaire, et toute cette énorme classe moyenne supérieure qui émerge et qui, pour une large part, avait investi dans l’immobilier. Enfin il y a la génération Z qui recevait beaucoup d’argent des générations précédentes, et qui a vu cette manne se tarir et a en plus beaucoup de mal à trouver un emploi.
L’attrait pour le luxe est toujours là. En revanche, c’est une concurrence locale qui émerge et gagne des parts de marché : la valeur perçue par les Chinois change en s’orientant plus vers des propositions locales, notamment en cosmétique ou joaillerie.
En quoi la crise actuelle est-elle historique ? Dans Le Figaro, Bernard Arnault a relativisé l’idée de fatigue du luxe, en pointant qu’on lui disait déjà cela dans les années 90.
Je suis assez d’accord. L’an dernier, le marché n’a baissé que de 1 %. Cette année, dans un mauvais scénario, il sera peut-être à – 9 %. Dans un scénario moyen, à – 5 %. Et dans un scénario optimiste, à – 2 %. Il y a des marchés qui font pire ! Il n’y a pas d’effondrement généralisé du luxe. On est quand même largement encore au-dessus des niveaux de 2019, ou même de 2021.
Ce marché a connu beaucoup de crises avant, y compris des guerres en Europe, et s’est toujours relevé. Et à voir les indicateurs macroéconomiques et surtout sociodémographiques, il peut se projeter avec un peu de confiance dans la durée. De nombreux foyers dans le monde vont accéder à un statut de classe moyenne supérieure. Et c’est ça notre socle de croissance.
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