Kering a annoncé lundi 16 juin la nomination de Luca de Meo en tant que directeur général du groupe de luxe, en remplacement de François-Henri Pinault, qui reste président du conseil d’administration.
Luca de Meo pose ses valises dans l’univers du luxe. Moins de 24 heures après son départ de Renault, l’Italien a été nommé directeur général de Kering, un groupe dont la valorisation boursière a fondu de 78 % depuis 2021, et dont les ventes chutent trimestre après trimestre. Et pourtant, c’est à un homme venu de l’automobile que l’on confie la relance du rêve. Un pari fou? Peut-être. Mais pas insensé.
Kering: entre désillusion et manque de cohérence
Derrière les murs de la rue de Sèvres, au siège social de Kering, une certaine désillusion règne. Longtemps portée par le style baroque d’Alessandro Michele, Gucci, la marque phare de l’empire Kering (50 % du chiffre d’affaires), s’est essoufflée. Depuis le départ du directeur artistique italien en 2022, et la nomination de Sabato de Sarno qui ne sera resté que deux ans et demi, la maison peine à retrouver une vision cohérente et à développer ses ventes.
Même les sacro-saints sacs à main, pourtant fers de lance des collections, n’atteignent plus leur public. Preuve en est, en 2024, Gucci a enregistré un chiffre d’affaires de 7,7 milliards d’euros, en baisse de 23 % et les actions de Kering ont perdu plus de 60 % de leur valeur en deux ans. Le chiffre d’affaires continue de s’effriter: –14 % au premier trimestre 2025, et un bénéfice net divisé par trois en 2024.
L’écart devient même abyssal avec son grand rival LVMH qui n’est pourtant pas si flamboyant depuis un an ou encore avec Hermès. Le groupe de la famille Arnault pèse plus de 230 milliards d’euros, Hermès de son côté près de 240. Kering? À peine 21. Les analystes de RBC (Banque royale du Canada,) parlent d’un groupe dont la réinvention passera nécessairement par la griffe Gucci, désormais dirigée sur le plan artistique par le controversé Demna Gvasalia, ancien de Balenciaga. Mais encore faut-il avoir le bon capitaine.
La mécanique du désir selon Luca de Meo
C’est là qu’entre en scène Luca de Meo, natif de Milan, fils de banquier d’affaires, polyglotte. A 58 ans, il a dirigé de grands groupes automobiles comme Fiat, Volkswagen Espagne (Seat), et plus récemment Renault, qu’il quitte pour rejoindre le géant du luxe Kering.
« Après cinq années à la tête de Renault Group, Luca de Meo a fait part de sa décision de quitter ses fonctions afin de relever de nouveaux défis en dehors du secteur automobile », a expliqué la société dans un communiqué de presse. Dès que son nom a circulé, la Bourse a réagi: +6 % pour Kering, –7 % pour Renault. Un transfert qui, à lui seul, raconte le croisement de deux mondes.
Mais pourquoi et surtout, comment pourrait-il incarner la renaissance d’un groupe à la dérive? Car l’italien est davantage un homme du marketing qu’un pur « car guy » ingénieur.
La force Luca de Meo réside dans sa capacité à comprendre le produit autant que le récit qui l’entoure. Chez Fiat, il a notamment relancé avec succès, dans les années 2000, la Fiat 500, faisant passer une citadine banale en icône de style à l’italienne. En enchaînant les séries spéciales, plus de 30, il booste les ventes. En 2018, la Fiat 500 atteint un record de vente en Europe avec 194.000 unités vendues.
Chez Renault, son plan « Renaulution » fut salué comme un modèle de redressement. Il relance alors Alpine, repositionne Dacia et surtout, redonne une âme à un groupe traumatisé par l’affaire Carlos Ghosn survenu en septembre 2018. D’une marge opérationnelle négative en 2020, la marque au losange est passé à un chiffre record de 7,9% en 2023, taux qui s’est maintenu à 7,6% en 2024.
« Pendant cinq ans, Luca de Meo a œuvré pour remettre Renault Group là où est sa place. Sous son leadership, notre entreprise a retrouvé une base saine, dispose aujourd’hui d’une magnifique gamme de produits et a renoué avec la croissance », a affirmé Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault, dans un communiqué.
A noter que le conseil d’administration de la marque automobile a d’ailleurs déjà lancé le processus de désignation d’un nouveau directeur général.
Profil multiculturel, sens aigu du marketing et vrai regard produit
Ce n’est pas un hasard si François-Henri Pinault a décidé de céder les commandes à Luca de Meo. Passé maître en rebranding de marques, ce dernier devra désormais transposer son savoir-faire au luxe et plus précisement à Kering et ses 14 maisons de prestige, oscillants entre mode, joaillerie et maroquinerie.
Le groupe ne manque pas de talents créatifs– à l’image de Sean McGirr chez Alexander McQueen, Louise Trotter chez Bottega Veneta, ou encore Anthony Vaccarello chez Saint Laurent– mais il manque d’une vision industrielle. Il faut restructurer, reprendre le contrôle des narrations, rétablir une discipline globale et redéfinir une stratégie produit, bref relancer une machine à créer du désir, aujourd’hui grippée.
« Francesca Bellettini, nommée directrice générale adjointe de Kering en charge du développement des maisons en 2023, était peut-être la dauphine désignée. Mais elle peinait à incarner le groupe. Sa parole reste floue, absente d’une réponse stratégique à la hauteur de la crise structurelle qui touche Kering depuis trois ans. À l’inverse, Luca de Meo sait occuper l’espace, clarifier une stratégie et imprimer une vision. Le contraste est salvateur », souligne Éric Briones, directeur du Journal du Luxe.
Il ne vient pas de la mode, mais il connaît la mécanique du désir. Et c’est précisément ce dont Kering a le plus besoin aujourd’hui.
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