Abréviation de l’anglais « duplicate » (copie), les dupes sont présentés comme des alternatives malignes inspirées par des fragrances de luxe, enfin accessibles à toutes les bourses. S’ils n’en reprennent pas le nom ni le flacon, ils s’inspirent très directement des compositions originales « que l’on ne peut pas déposer pour les protéger », explique Sylvain Eyraud, VP Global Marketing et Communication de Takasago, entreprise japonaise de production de saveurs et de parfums. Résultat : un terrain juridiquement flou, mais économiquement très porteur.
Une crise de la valeur perçue
Selon une étude C-Ways pour la FEBEA, près d’un tiers des Français aurait acheté au moins un dupe en 2024, tandis qu’au Royaume-Uni, les chiffres grimpent encore : 55 % des consommateurs s’y intéressent, 50 % en ont déjà acheté, et 37 % seraient prêts à recommencer (Kantar Mintel, mai 2024). On estime que les dupes représenteraient aujourd’hui jusqu’à 20 % du marché sélectif mondial, soit environ 10 milliards de dollars sur un marché prestige évalué à 46,3 milliards (source : Euromonitor 2024). Pour Sylvain Eyraud, « le dupe est un symptôme. Il révèle à la fois une crise de la valeur perçue, une crise géopolitique et une fracture générationnelle ».
L’envolée des prix du parfum de luxe (+20 € en moyenne en France sur les dernières années) a mis à distance une partie du public. Difficile, en effet, de garder son éthique et de débourser 130 € pour 100 ml d’un jus iconique quand on peut trouver un dupe à moins de 25 €. « Quand le prix monte sans que l’émotion suive ou que la valeur n’en soit renforcée, cela finit par créer de la méfiance. Toute une frange de la population se tourne alors vers des alternatives, quitte à accepter le flou ou les raccourcis », analyse Sylvain Eyraud.
Extrait de parfum Baccarat Rouge 540 de Francis Kurkdjian, le parfum le plus dupé © DR
Dérives et dangers cachés
Mais sous la surface du bon plan apparent, des questions éthiques et sanitaires affleurent. Certains dupes reproduisent en effet si ostensiblement le parfum d’origine qu’ils tombent sous le coup de la contrefaçon. Résultat : des produits souvent fabriqués hors cadre réglementaire, sans traçabilité, sans tests de sécurité, et contenant parfois des substances allergènes, irritantes voire interdites. À cela s’ajoute un autre enjeu : l’achat de ces copies contribue au financement de réseaux illégaux, comme l’a récemment rappelé la FEBEA.
Par ailleurs, un parfum authentique nécessite des années de recherche, des tests rigoureux, une créativité respectée et des savoir-faire précieux. En parfumerie, le vrai a un prix, mais aussi une valeur. Ce qui fait celle d’un vrai original, ce n’est pas uniquement l’odeur qu’on perçoit mais un équilibre subtil entre la qualité des matières premières, la tenue et l’émotion suscitée. Et même si la ressemblance semble bluffante à la première vaporisation, les dupes déçoivent souvent à l’usage : la senteur est plus brute, le sillage moins nuancé, la tenue quasi inexistante. L’illusion ne dure pas.
Le rôle amplificateur des réseaux sociaux
Pourtant, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur : les réseaux sociaux, TikTok en tête, ont fait basculer le dupe dans une nouvelle dimension. Des armées d’influenceurs décryptent, comparent et font la promotion du dupe parfait, et sur certaines plateformes chinoises, des vidéos laissent même entendre que les dupes proviendraient des mêmes chaînes de production que les originaux… En toile de fond, TikTok devient aussi un terrain d’influence géopolitique, selon Sylvain Eyraud : « Entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, on assiste à une guerre culturelle et commerciale. Et le parfum en devient l’un des outils. »
Mais au final, si le succès des dupes menace clairement l’économie et la créativité de la parfumerie, il pourrait aussi servir de révélateur. Pour certains acteurs, cette « dupe culture » invite à repenser les fondamentaux du luxe : redonner du sens à la création, renforcer la valeur perçue, réinvestir dans la qualité des matières premières et l’expérience globale. En somme, cette crise pourrait bien se transformer en une opportunité de réenchanter le parfum en revenant à ce qui en fait un objet de désir authentique, sensible et durable.
Le top 3 des parfums les plus « dupés »
Baccarat Rouge 540, Maison Francis Kurkdjian
La Vie est Belle, Lancôme
Coco Mademoiselle, Chanel
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