Dès les premières images, on a su que, loin d’une simple présentation de la collection masculine de Celine pour le printemps-été 2025, Hedi Slimane s’était prêté avec ce film à un exercice de haute civilisation : quelques daims aristocratiques, une réplique du Mercure d’Herculanum – souvenir classique d’un Grand Tour, un pavillon aux allures de folie, un jeune homme ressemblant à William de Gloucester, prince disparu trop tôt, ou à un héros de Brideshead Revisited, le roman d’Evelyn Waugh.
Et le voilà soudain qui s’empare d’une trompette et joue les premières notes de la fameuse « Danse des sauvages » de Jean-Philippe Rameau – un hit depuis 1728, intégré par le musicien aux Indes galantes en 1736, un an après la création de ce « ballet héroïque ».
Sauvages et Bright Young Things
Un choc de cultures entre cette partition si française – qui fut jouée à l’Opéra royal de Versailles en 1957 devant Elizabeth II lors de sa visite officielle et qui demeure un air récurrent de la Garde républicaine lors des banquets d’État et un succès des scènes lyriques – et ce jeune homme dont l’allure est celle d’un de ces Bright Young Things qui firent la légende de la décadence élégante de l’aristocratie british des années 1920. Les Bright Young Things ? Un terme inventé par la presse d’alors pour caractériser un groupe flamboyant, où l’imaginaire collectif n’a eu de cesse de ranger Cecil Beaton, les Mitford, Evelyn Waugh ou encore les Tennant… Le rêve d’une nonchalance éduquée auquel Hedi Slimane dédie cet opus ou plutôt ce palimpseste.
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L’esthétique du pas de côté
Car tout ici est pas de côté et mille-feuilles de références : l’usage de la trompette pour cette entrée des Indes Galantes en est le premier indice. Composé pour le clavecin, l’air n’a pas connu dans ces nombreuses versions, d’adaptation significative pour instrument à vent. Hedi Slimane le sait, lui qui a toujours apporté un soin particulier aux bandes-son. Ainsi, après cette introduction, il reprend la version orchestrée de Rameau de 1736, avant de finir par une interprétation toute romantique au piano.
Tout dans ce court-métrage est ainsi un jeu de miroirs : l’hommage n’est jamais littéral, le propos est contemporain, à l’instar des volumes et des coupes de ces blazers, de ces vestes gansées dans des cachemires d’été des années 20 retissés pour la maison, de ces gilets damassés reprenant l’idée du jardin anglais.
Comte d’Artois et Tennant
Une anglophilie bien tempérée et mâtinée d’esprit français qui est celle d’Hedi Slimane : la note d’intention rappelle qu’étudiant, il commença un mémoire sur la manière dont le comte d’Artois introduisit ce goût-là à Versailles. Demeure que l’on ne sait si dans ces exils, le frère de Louis XVI visita Holkam Hall où Hedi Slimane a tourné.
Avec ses volumes XVIIIe siècle, cette résidence palatiale du Norfolk est de toute manière davantage liée aux souvenirs de l’excentricité british qu’aux Bourbons. C’est ainsi ici, dans sa résidence familiale, à quelques miles de Sandringham, qu’en 1956, Lady Anne Coke épousa Colin Tennant : issu de cette aristocratie des Bright Young Things, il fut l’inventeur de l’île Moustique – et l’oncle de la modèle Stella Tennant ; elle fut l’amie et la dame d’honneur de la princesse Margaret, et l’autrice d’une autobiographie décapante…
La tentation holistique
Un détail que n’ignorait sans doute pas Hedi Slimane, qui, à la manière d’un Visconti parfumant les mouchoirs de Burt Lancaster incarnant le prince de Salina dans Le Guépard, a proposé aux modèles de son film de porter « À rebours » la dernière création olfactive de Celine. Un hommage évident à Des Esseintes, héros du roman de Huysmans donnant son nom au parfum et une digression toute littéraire qui dit la manière globale, holistique, dont Slimane imagine un projet : il va ainsi jusqu’à créer vélos et paniers du film.
Car dans sa réinterprétation des classiques, de ceux de la parfumerie à ceux du vestiaire, en passant par la musique ou la littérature, Hedi Slimane ne croit qu’au décalé contrôlé. Y compris dans sa manière de présenter une collection : celui qui fut le maître des horloges du défilé-show compris comme acmé du système de la mode, est désormais le seul à poursuivre et maîtriser l’exercice cinématographique pour dire une intention de mode et une idée du luxe. Soudain, l’allure a du sens, l’exercice de civilisation a du bon.
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