
À la tête de l’agence créative Agency L.O.V.E, Jérôme Faillant-Dumas accompagne depuis plus de vingt ans les plus grandes maisons dans leur direction artistique. Passé par Chanel puis Yves Saint Laurent, il porte un regard lucide et affûté sur les turbulences qui traversent aujourd’hui l’industrie du luxe. Un regard tourné vers l’avenir, où le sens, la cohérence et la singularité redeviennent essentiels.
Vous avez débuté chez Chanel et Yves Saint Laurent. En quoi ces premières expériences ont-elles façonné votre regard sur le luxe ?
Jérôme Faillant-Dumas : J’ai commencé ma carrière chez Chanel, au sein de l’équipe de Jacques Helleu. J’y ai compris que l’image de marque n’est pas une idée abstraite, mais un ensemble cohérent : le design du produit, ce qu’il incarne, l’image publicitaire, le merchandising et les réseaux sociaux… Chaque détail compte. Chez Yves Saint Laurent, avec Pierre Bergé, j’ai approfondi cette vision. L’image n’est pas qu’un décor : elle raconte une histoire cohérente, elle exprime des valeurs. C’est là que j’ai pris conscience que dans le luxe, l’esthétique n’a de sens que si elle sert un récit.
Le secteur du luxe traverse une période de crise. S’agit-il, selon vous, d’une crise économique ou d’une crise plus profonde ?
Jérôme Faillant-Dumas : Ce n’est définitivement pas une crise liée uniquement au prix. Les consommateurs ne sont pas naïfs : ils savent ce qu’ils achètent et pourquoi. Ce que traverse le luxe aujourd’hui, c’est une crise de cohérence et de perception. Les frontières entre haute couture et prêt-à-porter se sont brouillées. On trouve désormais des pièces vendues à des prix très élevés, mais dont la qualité ou la longévité ne justifient pas toujours le positionnement. Quand un manteau de prêt-à-porter atteint les 8 000 euros, avec un risque d’être démodé la saison suivante, il devient difficile d’en percevoir la valeur réelle. On retrouve la même confusion dans l’univers du parfum, où les distinctions entre les gammes se font parfois moins claires. Cependant, certaines maisons réussissent à tirer leur épingle du jeu, car elles restent fidèles à ce qu’elles sont. Hermès en est l’exemple parfait. Son identité est limpide : la qualité, le travail des artisans, l’expérience et la cohérence de sa raison d’être… Elle ne triche jamais. Et c’est précisément cette constance qui inspire confiance.
Les réseaux sociaux ont profondément transformé la manière dont les maisons de luxe communiquent. Cette hyper-exposition brouille-t-elle leur message ?
Jérôme Faillant-Dumas : Il y a à mon sens une confusion entretenue par les réseaux sociaux, et l’obsession de l’instantanéité qu’ils induisent. Beaucoup de marques observent ce que font les autres, s’imitent, ou s’alignent sur des tendances sans réfléchir à ce qui les rend uniques. Bien sûr, on ne peut pas ignorer les réseaux sociaux, mais il est urgent d’y remettre un peu de calme, de personnalité et de sens. Aujourd’hui, on parle davantage de « qui était au défilé » que des créations elles-mêmes… L’influence a du sens si elle sert la marque, pas si elle la dilue. Autrefois, certaines maisons s’associaient à une célébrité et cela avait un impact parce que c’était rare. Aujourd’hui, la rareté elle-même est devenue un luxe.
Comment les maisons peuvent-elles regagner cette cohérence ?
Jérôme Faillant-Dumas : En se posant les bonnes questions. Chaque création devrait être confrontée à des interrogations simples : « Est-ce que ce flacon, ce sac, ce manteau est représentatif de ma marque ? Est-ce que j’en suis fier ? » Si la réponse est oui, alors le produit sera perçu comme le prolongement naturel de son univers. Il faut aussi clarifier la relation entre prix et valeur. Un vêtement ou un accessoire de luxe devrait pouvoir traverser les années sans perdre de sa tenue ni de son allure. C’est ça, la vraie durabilité. On le voit très bien dans le marché du vintage, aujourd’hui en plein essor. Les pièces anciennes, qu’il s’agisse d’un sac, d’un manteau ou d’un bijou, continuent de séduire parce qu’elles ont été pensées pour durer. Un sac créé il y a vingt ans reste désirable non pas par nostalgie, mais parce qu’il incarne une époque où chaque détail, de la couture à la matière, en passant par les finitions, traduisait une recherche absolue de qualité. Le vintage rappelle qu’un objet de luxe doit résister au temps, dans sa forme et dans son essence.
Le contexte actuel pousse inévitablement certaines maisons à se réinventer. Quels sont, selon vous, les chantiers prioritaires ?
Jérôme Faillant-Dumas : D’abord, redonner une identité forte; mettre un cadre avec ses valeurs essentielles. Trop de marques changent de direction artistique sans message clair, ce qui accentue la confusion. Ensuite, remettre au premier plan les savoir-faire et les valeurs fondatrices : comment une maison a-t-elle transformé notre manière de nous habiller, d’affirmer notre allure, de consommer ? Chanel a réinventé le pantalon, Saint Laurent a libéré la femme avec le smoking. Ces messages puissants ont façonné des révolutions culturelles et sociétales. Cela ne veut pas dire qu’il faut copier le passé, mais s’en inspirer pour créer des “twists” résolument contemporains, en phase avec notre époque.
Quelle place l’intemporalité doit-elle occuper dans le luxe ?
Jérôme Faillant-Dumas : Une place centrale. « La mode se démode », disait Saint Laurent, et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Chaque maison devrait ramener un peu de calme et d’intemporalité dans ses créations, tout en y insufflant un détail de personnalité. Cela passe par une réflexion sur la durée : combien de temps ce produit vivra-t-il ? Quelle histoire racontera-t-il dans dix ans ? C’est aussi une façon de répondre aux enjeux actuels : produire moins, mais mieux. Dans le luxe, la qualité ne sera jamais industrialisable et c’est précisément ce qui fait sa force.
À propos
Jérôme Faillant-Dumas est directeur artistique et fondateur de Agency L.O.V.E (Luxe, Objet, Visuel, Environnement), qui accompagne les plus grandes maisons dans leur stratégie créative et leur image de marque. Ancien collaborateur de Chanel et Yves Saint Laurent, il a travaillé avec des photographes et réalisateurs tels qu’Irving Penn, Helmut Newton, Jean-Baptiste Mondino, David Lynch ou Jean-Paul Goude. Il est également créateur de mobilier et d’objets d’art.
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