Au Maroc, des spots de surf menacés par le tourisme de luxe et le béton

, Au Maroc, des spots de surf menacés par le tourisme de luxe et le béton

La plage de Taghazout, dans le sud du Maroc, en 2013. La plage de Taghazout, dans le sud du Maroc, en 2013.

Quand le soleil décline, ils remontent de la plage pieds nus, combinaison ruisselante, planche sous le bras. Dans les ruelles blanc et bleu de Taghazout, village de pêcheurs situé sur la côte atlantique, dans le sud du Maroc, les surfeurs se fondent dans le paysage. Tout, dans ce lieu surnommé « la Mecque du surf marocain », évoque l’esprit de la glisse. « Surf schools », « surf camps » et auberges bohème se partagent l’espace avec les échoppes de tajines de poisson, les restaurants « healthy » et les boutiques étalant sur le trottoir leurs tee-shirts souvenir.

Présentation de la série Surf : la nouvelle vague africaine

A l’entrée du village, impossible de passer à côté du portrait géant de Ramzi Boukhiam, champion de surf marocain et enfant du pays, peint sur une façade de la rue principale. Un peu plus loin, un plan tagué indique les spots qui font la renommée de la destination : Boilers, Killer Point, La Source, Mysteries… et surtout Anchor Point, devenu en 2020 une étape de la World Surf League. Ce lieu mythique a également abrité en mars la première édition du Championnat d’Afrique des nations de surf, réunissant des athlètes de huit pays.

« Pour les confirmés, la saison va d’octobre à mai, mais en été les vagues sont adaptées aux débutants. Des spots, il y en a pour tous les niveaux », indique Abdellah Bennani, 43 ans, moniteur et fils de pêcheur de Taghazout, qui peut témoigner de la métamorphose qu’a connue son village depuis le temps où celui-ci était encore le petit paradis secret de quelques initiés venus d’Europe, d’Australie ou des Etats-Unis : « Ils arrivaient en van, faisaient du camping sauvage sur la plage, venaient acheter leur poisson au village… J’avais 14 ans lorsqu’un jour, l’un d’eux m’a donné une planche. C’est comme ça que j’ai appris, en les observant. »

Yogis et travailleurs nomades

Car pendant longtemps, Taghazout a tracé son sillon loin du tourisme de masse qui fait la réputation d’Agadir, à une vingtaine de kilomètres. « Le tourisme surfique y est apparu de façon spontanée dans les années 1960-1970, avec l’arrivée de surfeurs du mouvement hippie », explique Stéphanie Crabeck, universitaire belge spécialiste du tourisme, qui s’est intéressée au rôle du surf comme levier de développement à Taghazout : « A cette époque, le village n’existait pas vraiment. Il n’y avait que des cabanons où les pêcheurs venus de la montagne entreposaient leur matériel. Taghazout est né de cette rencontre entre locaux et hippies. Il s’est développé progressivement pour répondre aux besoins de ces premiers visiteurs. »

Toute une sphère économique s’est mise en place autour de la glisse à partir des années 1980, avec un coup d’accélérateur dans les années 2000. En témoignent aujourd’hui la trentaine d’écoles et magasins de surf, les quelque 120 « surf camps » qui ont éclos dans un rayon de 15 km, les auberges et restaurants de bord de mer attirant les pros de la vague, mais aussi de plus en plus de yogis et de travailleurs nomades. « A 90 %, la population locale vit du surf, directement ou indirectement », rapporte Saïd Bella, cofondateur du salon professionnel « Taghazout Surf Expo », dont la première édition s’est tenue en 2022.

Cours de yoga à Taghazout, dans le sud du Maroc, en novembre 2018. Cours de yoga à Taghazout, dans le sud du Maroc, en novembre 2018.

Cet écosystème reste toutefois précaire, portant des intérêts souvent contradictoires avec le développement immobilier rapide du littoral. Ces dernières années, la communauté surf s’est mobilisée à plusieurs reprises pour défendre ses lieux de prédilection, menacés par l’artificialisation des côtes. Comme en 2015, contre le projet d’une usine de dessalement d’eau de mer à Boilers, lequel a finalement été déplacé à une centaine de kilomètres. Ou en 2016, contre la construction de résidences hôtelières devant quatre spots de classe mondiale au nord de Taghazout.

« Un spot, c’est la vague, mais c’est aussi tout ce qu’il y a derrière, défend Ahmed Belmadani, gérant d’un « surf camp ». Les constructions affectent la circulation du vent, le mouvement naturel du sable et des vagues. Sans compter qu’elles dégradent l’environnement et bloquent l’accès des plages aux surfeurs. »

L’immobilier a également gagné le littoral au sud de Taghazout. Sur la baie de 4,5 km qui s’étend en contrebas du village, là où il n’y avait auparavant que du sable et des arganiers, une nouvelle station balnéaire a émergé en 2015 : « Taghazout Bay », dévolue au tourisme haut de gamme. De grandes enseignes mondiales de l’hôtellerie de luxe, comme Hyatt, Hilton ou Radisson, s’y sont installées, ainsi qu’un golf de 27 trous surplombant l’océan, entouré de villas et résidences premium. Le projet a connu des déboires. En 2020, des villas et une partie des hôtels ont été démolis en raison d’infractions à la loi sur l’urbanisme.

Bungalows, piscines et skatepark

La communauté surf s’inquiète de voir l’environnement dénaturé. « Taghazout Bay n’a rien à voir avec l’esprit surf. On propose des hôtels et des buffets 5 étoiles à des gens qui veulent juste vivre à l’air libre et manger du poisson grillé sur la plage ! », déplore Hicham Limati, membre fondateur de la Confédération des entreprises marocaines de surf touristique, qui pointe du doigt la « marginalisation » du secteur : « Les décideurs n’ont pas compris que le surf touristique pouvait être la locomotive du développement de cette zone. Si on lui avait laissé l’espace, on aurait pu créer une centaine de microentreprises qui auraient fait vivre la majorité des habitants des environs. Le potentiel est énorme, mais rien n’est fait pour développer cette niche. Et la richesse ne profite qu’aux plus riches. »

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Dans les communes environnantes, les avis sont partagés sur ces hôtels qui sortent de terre. Si certains mettent en avant l’aménagement, l’esthétique et l’engouement touristique suscité par Taghazout Bay, beaucoup regrettent les faibles retombées économiques. « Ces grands hôtels ont certes créé des emplois, mais de gardiens, jardiniers, plongeurs, agents d’entretien… Des postes subalternes, payés entre 250 et 400 euros par mois. Ils ne contribuent pas à l’émergence d’une classe moyenne. Sinon, pourquoi les jeunes de la région rêvent-ils tous d’aller en Europe ? », déplore Reda Taoujni, rédacteur en chef du média Maghreb Times, à Agadir, et voix critique locale. Contactée, la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout n’a pas donné suite à nos sollicitations.

L’attention se porte aujourd’hui sur un nouveau projet d’aménagement, cette fois au niveau d’Anchor Point, joyau absolu des surfeurs. Un « village de surf » doit y voir le jour, comprenant hôtels, bungalows, piscines, skatepark, promenade… Rien à voir avec Taghazout Bay, d’après le cahier des charges : « Authenticité et prédominance de la nature sont les maîtres mots, assure Arnold Delahaye, l’architecte mandaté par la Société de développement régional du tourisme. La densité sera faible, avec des constructions légères. L’objectif est que tout se noie dans l’arganeraie. »

Abdellah Bennani est dubitatif. « Ces dernières années, ça bétonne de partout, et finalement c’est la nature qui prend cher, déplore-t-il. Peut-être que ces projets immobiliers, ça plaît à la génération surf-yoga, mais les anciens surfeurs, ceux qui ont l’esprit surf, n’aiment pas ça. Ils partent déjà ailleurs, plus au sud. » A la recherche d’autres endroits de pèlerinage encore sauvages.

Sommaire de notre série « Surf, la nouvelle vague africaine »

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