Fin avril, une vente exceptionnelle s’est tenue au palais de justice de Paris. Quelque 277 lots étaient proposés aux enchères. Leur particularité ? Tous ont été saisis par la justice dans le cadre d’affaires liées au trafic de drogue. Un sur dix était une montre de luxe, Rolex en majorité. Toutes ont été examinées par l’expert Geoffroy Ader qui commente, enthousiaste : « On a atteint des prix incroyables. Les biens estimés à 2 000 euros sont partis à 5 000. Ceux évalués à 10 000 ont été vendus à 30 000… » Une surprise ? Pas vraiment.
Le marché de la montre de luxe n’est plus la chasse gardée des riches collectionneurs ou des businessmen m’as-tu-vu. Il attire désormais une foule d’acheteurs, du passionné au spéculateur pur jus. À raison. « C’est simple, résume Geoffroy Ader, si vous avez acheté une montre avant la crise du Covid, son prix a été multiplié par trois. » Un filon qui n’a pas échappé au banditisme, petit et grand.
Qui dit « beau voyou » dit belle montre ! « Dans une logique de rapport de force, ce n’est plus tellement la voiture mais la montre qui fait la différence ! », explique un vieux routier de la police judiciaire. Qui complète : « En plus du côté bling-bling, c’est aussi une réserve d’argent disponible pour financer une cavale. Tous ne sont pas encore passés au portefeuille en bitcoins… »
Vols avec effraction
Si les barons de la drogue n’ont pas de problème de trésorerie pour payer rubis sur l’ongle leur caprice horloger – il serait regrettable de « tomber » pour une montre volée ! –, il n’en est pas de même en bas de l’échelle. Les policiers parisiens ou azuréens ont assisté ces dernières années à la montée en puissance de « petits voyous de cités », souvent mineurs, en maraude dans les quartiers chics et multipliant les vols avec violence. Fin mai dans le 8e arrondissement de Paris, un touriste ukrainien y a encore laissé sa Richard Mille (300 000 euros).
Autre source d’approvisionnement, en dehors des braquages de bijouteries, de plus en plus rares : les vols avec effraction. Le tennisman Lucas Pouille en a fait l’expérience le 2 juin chez lui à Rennes alors qu’il bataillait à Roland-Garros. Cambriolage au hasard ou ciblé ? Deux Niçois du quartier des Moulins ont été condamnés en avril. À leur actif, le vol, un mois plus tôt, dans la chambre d’hôtel du cycliste slovène Tadej Pogacar, dont l’équipe est sponsorisée par Richard Mille, de sa précieuse RM 67-02 (plus de 155 000 euros). Plus audacieux encore, le duo, pour « loger » sa cible, avait placé une balise sous la voiture d’un couple de retraités repéré dans un restaurant. Avant de prétexter la chute de leur drone dans le jardin pour se faire ouvrir la porte de la propriété et s’emparer des Rolex Daytona à 140 000 euros…
Le marché de seconde main de la montre de luxe représente 20 milliards d’euros
Si les voleurs, et parfois leurs receleurs, sont régulièrement arrêtés, les montres sont, elles, rarement retrouvées. « Les plus belles sont difficiles à écouler », soutient pourtant un policier parisien. Il en veut pour preuve sa surprise d’avoir trouvé, au poignet d’un simple guetteur de 19 ans d’une cité de Seine-Saint-Denis, une Richard Mille à 150 000 euros que le gamin dit avoir achetée 1 500 euros à un « fourgue » des Francs-Moisins…
Un moyen de blanchiment
Les receleurs achètent les objets dérobés en moyenne 10 % de leur valeur. Selon une enquête de la PJ de Nice qui s’est conclue en juin 2022, Frédéric Farade, un restaurateur corse de 42 ans, montait le curseur jusqu’à 50 %. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir écoulé « des centaines » de toquantes volées auxquelles ses complices horlogers, notamment à Anvers en Belgique, redonnaient une nouvelle virginité avec renumérotation, fourniture d’un vrai-faux certificat d’origine, voire de la boîte-écrin de la marque. Un full set, comme on dit dans le jargon, qui permet, selon Geoffroy Ader, de multiplier le prix de vente par deux ou trois, voire par dix pour des modèles très recherchés.
« Rien dans le dossier ne prouve que ces montres étaient volées », plaide son avocat, Me Pinelli. Pour les enquêteurs, une partie des clients de Farade appartenaient au narcobanditisme et utilisaient ces bijoux comme moyen de blanchiment. Moins risqué de prendre l’avion pour Dubai avec trois montres à 200 000 euros, faciles à écouler, plutôt qu’avec une valise de billets…
Face aux risques de vol, la marque Audemars Piguet s’engage désormais à remplacer ou rembourser toute montre subtilisée. Et Rolex a annoncé la création de son propre réseau de revente de montres d’occasion certifiées alors que le marché de la seconde main s’envole. « Aujourd’hui, il représente 20 milliards d’euros, précise Geoffroy Ader. Dans dix ans, il pèsera 30 à 40 milliards. » De quoi aiguiser bien des appétits…
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