Mounir Mahjoubi : « Ce n’est pas la fin de l’ubérisation mais la fin de la fiction du luxe gratuit »

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Marianne : La plateforme Uber pourrait dorénavant faire payer le « temps d’approche » de sescourses à ses passagers. Le géant du streaming Netflix va, lui, empêcher le partage gratuit de comptes dans 100 pays dont la France. Pourquoi ces entreprises, qui tiraient pourtant leur gloire en pariant sur une politique du « moindre coût » pour le consommateur, reviennent-elles de ce modèle ?

Mounir Mahjoubi : Parce que beaucoup de ces entreprises ont menti sur la valeur. On a fait croire aux consommateurs – français, européens ou encore américains – qu’on pouvait avoir un service quatre étoiles payé trois fois rien. Tout le monde trouvait ça normal alors qu’il n’y avait rien de normal du tout. Il fallait toutefois bien que quelqu’un paye à leur place. Et qui payait ? En partie des fonds investissements et, surtout, les chauffeurs eux-mêmes, ce qui inacceptable.

Avec Netflix, on est sur une économie des contenus. Là aussi, pour exister, les plateformes de streaming ont frappé très fort avec des prix très agressifs. Mais si vous regardez les acteurs traditionnels du secteur, comme Canal + en France, ils s’assurent que le prix permette la pérennité de l’entreprise pour pouvoir tenir dans le temps. Netflix est aujourd’hui face à d’énormes investissements et a donc besoin de grossir son chiffre d’affaires. Il peut maintenant se permettre d’augmenter les prix car les consommateurs sont captifs et la concurrence pas au même niveau. On peut juger la chose inacceptable ou acceptable, le fait est que cela peut inciter les gens à payer.

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Toutefois, si cette politique a fonctionné aux États-Unis, elle n’a pas été concluante en Espagne où le nombre d’abonnés a peu augmenté. Les abonnés Canal + payent cher donc ils se posent la question avant de s’engager. Netflix, on ne se posait pas la question. Mais à 15 euros par mois, ça commence à ressembler à un demi-forfait de téléphone. Si ça monte à plus, les consommateurs vont se poser la question. En tout cas, nous sommes à un moment où l’économie des plateformes rencontre celle du monde réel.

On associe souvent ces deux entreprises à Telsa et Airbnb, les quatre partageant l’acronyme NATU. Quels sont les points communs de leurs modèles ?

Ils n’ont en commun qu’une approche macro-économique. Ce sont des « love brand », soit des marques que les gens aiment aimer. Elles sont importantes dans leur vie. Mais les modèles d’affaires de ces entreprises n’ont rien à voir entre eux. Uber regroupe des travailleurs plateformes, Netflix des travailleurs de contenu quand Airbnb est la plus représentative des marketplaces. Pour cette dernière, le lien commun aux deux autres est le prix. Comme pour Netflix ou Uber, on découvre seulement maintenant le coût réel du service, le vrai prix des choses.

Les plateformes se heurtent à l’économie du réel avec des investisseurs qui arrêtent de subventionner leur conquête. Ces derniers donnaient de l’argent en quantité suffisante pour absorber leurs déficits. Aujourd’hui, ces entreprises sont trop grosses pour se permettre de vendre à perte.

Airbnb impose aux propriétaires des commissions extrêmement élevées, allant de 20 à 30 %, sans que cela soit indiqué sur son site Internet. Si ces derniers ont effectivement augmenté leur nombre de jours de location, leur rentabilité a baissé. Pour le locataire, quand vous allez sur Airbnb, le prix du début est annoncé sans les frais et gonfle à la fin. Or, la valeur du service de cette plateforme devrait aller au propriétaire et au client. Auprès de ses utilisateurs, Airbnb a réalisé un grand sondage qui a montré que ceux-ci lui reprochent un manque de transparence sur les prix. Après cette consultation, le dirigeant de la plateforme, Brian Chesky, a pris l’engagement d’arrêter cette pratique. Mais il refuse encore de mettre clairement le taux de commission sur la page d’accueil. Or, beaucoup de propriétaires se disent qu’ils n’ont pas le choix. Les locataires aiment cette marque. Toutes ces plateformes créent une dépendance et ce n’est pas acceptable. Un acteur comme Airbnb, qui a la plus grosse part de marché, la quasi-totalité avec son concurrent Abritel, prélève des commissions astronomiques alors qu’il ne paye même pas ses impôts en France.

Il faut aussi que le consommateur s’interroge : en a-t-il pour son argent ? C’est une question difficile à se poser. Des entreprises comme Heetch essayent d’introduire plus de transparence, afin notamment de montrer comment est réparti l’argent des acheteurs. Souvent, les gens trouvent que Canal + est vieux jeu mais la plateforme a raison de rappeler qu’il y a des coûts pas réductibles, qu’il n’y a pas de travailleurs gratuits. Même si c’est parfois désagréable à entendre, c’est rendre service au consommateur.

​​​​Après avoir cassé les codes du marché, ces revirements des plateformes sont-ils synonymes d’un retour à une économie « traditionnelle » ?

Comme je le disais tout à l’heure, les plateformes se heurtent à l’économie du réel avec des investisseurs qui arrêtent de subventionner leur conquête. Ces derniers donnaient de l’argent en quantité suffisante pour absorber leurs déficits. Aujourd’hui, ces entreprises sont trop grosses pour se permettre de vendre à perte. Elles doivent montrer qu’elles gagnent de l’argent. Ensuite, les lois dans plusieurs pays ont attaqué la précarité de leurs employés. Cela a recréé des limites.

Pour revenir aux marketplaces, celles-ci n’ont, pour l’heure, pas baissé leurs prix car elles n’ont pas encore rencontré d’obstacles. Est-ce que la concurrence peut en être un ? On ne peut en tout cas pas accepter que des intermédiaires de cette taille prennent autant aux consommateurs.

N’y a-t-il pas, aussi, un changement des habitudes de consommation et la volonté d’une part de la population de sortir de l’ubérisation de la société ?

Attention au terme d’ubérisation de la société. Je considère que le fait d’avoir des services à la demande peut être très bien, la question est de voir comment sont payés et traités les employés. Les gens veulent plus de services à la demande et de plateformes. Nous avons des vies de plus en plus morcelées et complexes. En milieu urbain, quand vous êtes parent solo avec deux enfants, commander votre nourriture est très pratique si vous avez les moyens, il faut reconnaître que c’est un luxe.

Mais ce qui ne va pas – et j’avais fait un rapport sur la question lors de ma dernière année à l’Assemblée nationale en 2021 – c’est le traitement des travailleurs par certaines plateformes de livraisons. On avait établi un classement et on voyait que des entreprises avaient basculé à 90 % de CDI pour leurs livreurs quand d’autres étaient au contraire dans une logique d’hyperprécarisation. Les acteurs français n’étaient d’ailleurs pas exemplaires et les entreprises étrangères étaient parfois beaucoup plus vertueuses, certaines achetant même les vélos de ses travailleurs. Ce n’est pas la fin de l’ubérisation mais la fin de la fiction du luxe gratuit.

Je reformule : les consommateurs ne sont-ils pas en demande d’une économie plus vertueuse en matière de droits des travailleurs ? 

Tout à fait. On met du temps à comprendre comment une industrie tourne, cela prend au moins dix ans. Maintenant que tout le monde a compris cette industrie-ci, beaucoup de gens – et surtout ceux qui en ont les moyens – se posent la question de leur impact social. Cela a des répercussions sur le marché. Rien que pour la livraison de courses à domicile, les entreprises coulent les unes après les autres et seuls les géants restent. Il faut espérer que ceux-ci seront plus vertueux.

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Dans notre rapport, Deliveroo n’était pas bien classé du tout mais est un peu mieux aujourd’hui pour ses travailleurs. D’un point de vue purement économique, l’entreprise a intérêt, je le crois, à continuer. De façon symétrique, Getir était très bien placé et affichait un modèle viable. Ce qui lui a permis de racheter plusieurs de ses petits concurrents au modèle plutôt basé sur la précarité. Getir a mis fin à ce modèle. Cela l’a mise quelque peu en difficultés, l’intégration de toutes ces entreprises a conduit à un redressement judiciaire de l’ensemble imposant une réorganisation des emplois [Getir annonçait la semaine dernière envisager un plan de licenciement de 900 personnes en France] mais autour du CDI.

L’économie du moindre coût n’est plus possible, il faut une normalisation et une plus grande transparence. Mais ce processus n’est pas fini. Ce n’est pas demain qu’on payera le juste prix, ce jour ne sera d’ailleurs pas forcément agréable pour le consommateur. Cela voudra parfois dire payer plus cher quand des humains sont impliqués. En revanche, quand la plateforme sera 100 % automatisée, il faudra nécessairement une baisse de prix pour le consommateur, ce serait le plus juste.

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