Avant Charles III, les secrets du protocole : caprices, hôtels de luxe et ministres vexés

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Pierre Cardin ne voulait pas bouger. Jacques Chirac recevait Vladimir Poutine en visite à Paris, et le grand couturier refusait de se plier aux nouvelles exigences du plan de table. En cette soirée du 15 janvier 2002, abritées sous les dorures de la salle des fêtes de l’Elysée, les personnalités les plus puissantes du pays dînaient avec le maître du Kremlin. Autour de la table en forme de fer à cheval affectionnée par Chirac – plus tard délaissée par ses successeurs au profit de simples ovales –, on pouvait apercevoir les deux chefs d’Etat, flanqués de leurs épouses. Hélène Carrère d’Encausse, élue secrétaire perpétuel de l’Académie française quelques années auparavant, avait accepté, magnanime, d’être déplacée « un siège plus haut » pour converser en russe avec un ministre moscovite. Eve Barre, épouse de l’ancien Premier ministre Raymond Barre, avait pris sa place.

Le grand couturier Pierre Cardin, moins coopératif, avait refusé de servir de bouche-trou pour combler l’absence d’un membre de la délégation étrangère. « ‘Ah non non non ! Moi, je prends les places qui me sont assignées !’ avait-il lancé. Je lui ai dit : ‘Monsieur, ici, c’est moi qui décide. Alors veuillez bien me suivre.’ Et il m’avait suivi ! raconte, un brin triomphant, le diplomate Paul Poudade, qui était alors le chef du protocole de l’Elysée. Vous avez de temps en temps des invités rétifs. »

Les honneurs de la visite d’Etat

A l’Elysée, le directeur du service du protocole de la République française est le grand chef d’orchestre des visites d’Etat, des cérémonies du 11 Novembre, du 14 Juillet, ou encore des sommets organisés dans notre pays. C’est son équipe qui, à l’étranger, suggère discrètement à Jacques Chirac d’enlever sa cravate avant de rencontrer George W. Bush lors du G20 – il acceptera – ou à François Hollande de faire de même lors d’une visite à Camp David, aux Etats-Unis – il n’acceptera pas. Elle qui gère l’apparition des chefs d’Etat en hélicoptère, ou l’ordre des véhicules qui entrent dans la cour de l’Elysée. Qui communique les exigences alimentaires d’une sommité, ainsi que ses vœux de négociations avec l’exécutif français. Tout, du détail le plus trivial au plus sérieux, transite à un moment entre ses mains. La visite du roi Charles et de la reine Camilla à Paris, du 20 au 22 septembre, a donc largement occupé le service du protocole ces dernières semaines. Celle du pape, du 22 au 23 septembre, à Marseille, aussi.

Dans le protocole français, on peut distinguer quatre types de visites : « d’Etat », « officielles », « de travail » et, enfin, « privées ». Les honneurs et les précautions qui découlent de chacune d’entre elles dépendent du visiteur et de la catégorie dans laquelle se place son voyage. « La visite d’Etat est réservée à un président, un souverain. En l’occurrence, le 20 septembre, le roi Charles III a bien droit à une visite d’Etat, note Jean-Paul Pancracio, professeur agrégé des facultés de droit et auteur du Dictionnaire de la diplomatie. Un chancelier, qui est l’équivalent d’un Premier ministre, viendra plutôt en visite officielle. »

Ne pas laisser la reine se fondre dans le décor

Evénement le plus lourd à organiser, la visite d’Etat est parfois mise en musique plusieurs mois à l’avance. « Le chef du protocole dirige une équipe d’une dizaine de personnes pour préparer ces visites, qui comprend ses agents et un des directeurs du ministère des Affaires étrangères, explique Daniel Jouanneau, auteur de Souvenirs d’un chef du protocole (Plon), qui occupa cette fonction de 1993 à 1997. Cette équipe a une antenne à l’Elysée, mais vous avez également le SDLP [le service de la protection] du ministère de l’Intérieur, qui s’occupe de toute la logistique et de la sécurité des visiteurs étrangers. »

Quelques semaines avant chaque visite, une mission préparatoire dirigée par le service du protocole du pays invité est conviée en France. Des réunions ont lieu pour régler les détails du programme et s’assurer que les vœux de l’invité de marque soient respectés. « Je faisais visiter l’Elysée aux équipes protocolaires étrangères des missions préparatoires, se souvient Evelyne Richard, responsable du service d’organisation de la presse du Château pendant quarante-huit ans. S’agissant de la reine d’Angleterre, sa dame d’honneur faisait attention à tout. Lors de son dernier voyage, elle avait vu l’ancienne salle des fêtes de l’Elysée, très Napoléon III, avec des tentures rouges sur les murs. Et elle avait dit : ‘Il ne faut pas que la reine mette une robe rouge, sans quoi elle se fondra dans le décor !' »

Les exigences américaines

Ces détails ne sont pas les seuls à être examinés : le président des Etats-Unis, par exemple, exige constamment d’avoir un « press pool » (un groupe de quinze journalistes) présent dans son cortège, ce qui n’est pas le cas des autres chefs d’Etat. « Le président ne sort pas de sa voiture tant que le pool n’est pas descendu et ne s’est pas installé, détaille Evelyne Richard. C’est difficile à mettre en place, mais les Américains nous le rendent bien. Ils ont toujours été assez généreux quant au nombre de journalistes français qui peuvent rentrer dans le bureau Ovale lors des visites d’Etat aux Etats-Unis. »

Une fois préparées, les visites d’Etat suivent un protocole bien huilé. « Il s’agit de la plus protocolaire, celle dont le cérémonial est le plus lourd, poursuit Jean-Paul Pancracio. Elle dure un jour et demi, voire deux, et mobilise le gouvernement, les services de sécurité, de renseignement pendant toute sa durée. » A l’exception de certains souverains qui prennent le train, telle Elizabeth II, qui empruntait l’Eurostar, les chefs d’Etat étrangers arrivent en règle générale par avion, et atterrissent à Orly, l’aéroport le plus proche de Paris. Ils y sont accueillis soit par le président de la République, soit par le Premier ministre. Ils montent ensuite dans des hélicoptères, afin d’avoir le loisir de survoler la Seine et la capitale, avant d’arriver sur l’esplanade des Invalides. « Il y a normalement trois hélicoptères : celui du chef d’Etat accueilli, de l’exécutif français, et d’une partie de la délégation étrangère – le reste rejoint l’Elysée par la route, raconte Paul Poudade. A ce cortège s’ajoute soit la garde républicaine à cheval, soit une grande escorte à moto. »

Des ministres vexés

Dans ce défilé minuté, tous les déplacements sont chorégraphiés : les plus importantes personnalités sont les plus proches du chef de l’Etat étranger, et inversement. Un impair vexe facilement les sensibilités. « [En 2003], après avoir atterri aux Invalides, le roi des Belges devait monter dans une voiture avec Dominique Perben, à l’époque garde des Sceaux », se rappelle Paul Poudade. Mais un cafouillage empêche le ministre de la Justice de s’asseoir avec le souverain, qui monte avec son ministre des Affaires étrangères, Louis Michel. « Monsieur Perben faisait une tête de six pieds de long », s’amuse aujourd’hui le diplomate. Pour résoudre le problème, il fait une entorse à la règle qui veut que les équipes du protocole ne s’adressent pas aux chefs d’Etat accueillis – elles doivent attendre que ces derniers prennent l’initiative. « A son arrivée à l’hôtel de Marigny, je suis allé voir le roi et je lui ai dit que j’avais un petit problème. Il m’a fait un grand sourire, m’a répondu : ‘J’ai compris’, avant d’aller voir le ministre, et de lui proposer en s’excusant de l’accompagner à l’intérieur. »

Avec son emplacement juste en face du palais de l’Elysée, l’hôtel de Marigny a longtemps été la résidence des chefs d’Etat lors des visites les plus prestigieuses. Mais il est désormais seulement une annexe du Château. « Il était devenu incommode, avec finalement assez peu de place. Le dernier à y avoir résidé est le président libanais Michel Sleimane, en 2009, se rappelle Laurent Stefanini, chef du protocole de 2010 à 2016. Désormais, les personnalités étrangères sont logées dans leur ambassade – ce qui sera le cas pour le roi Charles III – ou dans de grands hôtels parisiens : le Crillon, le Meurice, l’Intercontinental, le Grand Hôtel… » L’arrivée du chef d’Etat est ensuite rythmée par des étapes obligées : « Il y a le dépôt de gerbe à l’Arc de Triomphe, les honneurs militaires, l’entretien avec le chef de l’Etat, le dîner d’Etat…, liste Daniel Jouanneau. Et sont ensuite ajoutées les activités souhaitées par le visiteur. » Codifié, le grand ballet de ces visites a été consigné en partie par écrit par Frédéric Billet, l’actuel chef du protocole de l’Elysée, qui occupe aujourd’hui le même poste au Quai d’Orsay, dans ce que Paul Poudade décrit comme un « vade-mecum du protocole ».

« J’ai un petit présent pour vous »

A leur arrivée à Paris, Charles III et la reine Camilla seront ainsi accueillis par Emmanuel et Brigitte Macron à l’Arc de Triomphe. Ils descendront les Champs-Elysées, puis participeront au traditionnel dîner d’Etat au château de Versailles, dans la galerie des Glaces. « C’est un honneur très rare, marqueur d’égards exceptionnels », commente l’ancien chef du protocole de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Souvent, l’invité désire faire un discours dans un lieu prestigieux. Le souverain britannique, en l’occurrence, l’énoncera devant les parlementaires au Sénat. « Hélène Carrère d’Encausse avait invité Vladimir Poutine à l’Académie française, où il avait délivré un discours », se rappelle Paul Poudade. Plusieurs rencontres auront ensuite lieu, notamment à Saint-Denis avec des associations, avant que le couple royal ne se rende à Bordeaux. « La visite d’Etat compte toujours un déplacement en province, dans un lieu qui a en général un rapport avec la personnalité reçue », note Laurent Stefanini. En l’occurrence, ici, l’Aquitaine, qui fut sous contrôle du roi d’Angleterre, à l’époque d’Henri II. Au terme de ce déplacement, le chef du protocole peut espérer un cadeau de remerciement pour l’organisation. « Lors de sa dernière visite d’Etat, Elizabeth II m’a dit : ‘J‘ai un petit présent pour vous’, et elle m’a offert un portrait signé par son mari et elle », se rappelle Paul Poudade.

Cette visite du roi chevauche celle du pape François, qui arrivera le 22 septembre dans la cité phocéenne. Ici, toutefois, pas question de parler de visite d’Etat. Le souverain pontife a d’ailleurs indiqué aller « à Marseille, pas en France », se déplaçant pour parler de la question migratoire. « Il n’est de toute façon jamais question de visite d’Etat avec un pape, note Daniel Jouanneau. Il s’agit de visites pastorales, car, quand le pontife effectue une visite à l’étranger, il est invité par la puissance épiscopale et non par le chef d’Etat du pays. » Ici, en l’occurrence, l’artisan de la venue de François est le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille et homme de confiance du pape en France.

Un pape au couvent

A l’inverse des visites d’Etat ou officielles, l’implication de l’exécutif français est réduite. Si, cette fois-ci, Emmanuel Macron assistera à la messe papale à Marseille, le chef de l’Etat ne voit en principe le pontife qu’à son arrivée en France ou à son départ. Cette fois-ci, il sera accueilli sur le tarmac de l’aéroport par la Première ministre, Elisabeth Borne, avant d’avoir une rencontre officielle le lendemain avec le président. « Le pape est reçu non comme leader religieux, mais comme chef d’Etat du Saint-Siège, poursuit Daniel Jouanneau. Il arrive à bord d’un vol Alitalia, et est accompagné par une petite délégation de cardinaux. On lui rend les honneurs du Saint-Siège, on joue La Marseillaise et l’hymne pontifical. »

Chacun de ces détails techniques est organisé entre l’Eglise, l’équipe du protocole et celle de la préfecture où se déroule la visite. « Quand Jean-Paul II avait fait son déplacement en France en 1996, nous avions organisé toutes les étapes du déplacement, de Tours à Sainte-Anne-d’Auray, de concert avec le préfet », reprend Daniel Jouanneau. Daniel Canepa, qui était préfet d’Indre-et-Loire au moment de cette visite, s’en souvient. « Il fallait vérifier que toutes les communications soient propres dans le lieu où était accueilli le pape, qu’il n’y ait aucun risque d’écoute, se souvient-il. Il fallait aussi modifier le décor de la préfecture : changer les tapis, rafraîchir certains meubles, afin de donner une allure plus solennelle. » Le reste de la visite – des autocars pour acheminer les fidèles aux différentes messes données pendant ce voyage – est à la charge de la paroisse. Pas de dîner d’Etat ou de palaces parisiens. Avec Jean-Paul II, « tous les dîners étaient en très petit comité », se rappelle Daniel Canepa. Le pontife était accueilli dans la chambre du couvent de la Grande Bretèche.

La visite du pontife ne diffère pas de celle des autres chefs d’Etat sur un point : l’important dispositif de sécurité qu’elle impose. A Marseille, 5 000 policiers et 1 000 agents privés seront déployés pendant la visite papale, en complément des gardes suisses qui veillent habituellement sur lui. Un lourd attelage, notamment imposé par le souvenir des tentatives d’assassinat qui avaient eu lieu contre le pape Paul VI, en 1970, à Marseille, ou contre Jean-Paul II, en 1981, sur la place Saint-Pierre, au Vatican. « La seule qui avait un dispositif plus léger, c’était la reine d’Angleterre », se souvient Laurent Stefanini. Cette sécurité au format réduit avait été théorisée par le pouvoir royal, non sans humour. « Son secrétaire particulier m’avait expliqué : ‘Elle est très âgée, elle a beaucoup d’héritiers, elle a déjà été près de soixante ans sur le trône… Elle s’en remet à la divine providence !' » rapporte l’ancien chef du protocole.

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