Insécurité, luxe vulgaire et fermeture de l’UGC Normandie : la lente agonie des Champs-Élysées

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« Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées », enfin surtout si vous voulez un nouveau sac Louis Vuitton ou un décor cliché pour remplir une case sur Instagram. Il est 11 heures, les quelques terrasses des Champs se préparent pour les déjeuners de touristes. Les serveuses guettent les chalands, qui eux n’ont d’yeux que pour les grandes boutiques de luxe.

L’avenue n’a plus l’âme à la fête, ni à la culture. Son dernier cinéma, l’UGC Normandie, va fermer ses portes en juin, après 87 ans de projections. Presque personne ne s’arrête devant. La salle n’est plus mythique pour grand monde, les touristes passent vite, d’un magasin à l’autre, jusqu’au rond-point de l’arc de Triomphe, spot idéal pour un petit shooting photo. Il fait beau, il faut « profiter ».

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Bientôt, l’avenue se remplit peu à peu, toujours de touristes. On les reconnaît de loin, déjà parce qu’il n’y a qu’eux qui arpentent encore les quelque 1 900 mètres entre la place de la Concorde et la place Charles-de-Gaulle (ex-place de l’Étoile), et parce qu’ils arborent en nombre les mêmes signes extérieurs de séjour parisien : au bras un immense sac en papier orange floqué « LV », pour Louis Vuitton, avec à l’intérieur un article estimé entre un et plusieurs SMIC ; sur la tête le traditionnel béret français, qui n’est en réalité porté que par des étrangers. 10 € le couvre-chef rouge, vendu en kiosque, le goût de la France à peu de frais, fabriqué à l’étranger.

Un centre commercial à ciel ouvert

La majorité des personnes interrogées par Marianne en remontant l’avenue font le même constat : les Champs ne sont plus qu’un centre commercial tout en longueur. Quand on arpente la grande voie par le trottoir de droite – le plus prisé –, depuis le rond-point des Champs-Élysées-Marcel-Dassault, difficile de les faire mentir.C’est Adidas qui ouvre la marche, suivi par Foot Locker puis Lululemon, autres marques de sport, 100 mètres plus loin. Vient le prêt-à-porter, avec un fier magasin Levi’s suivi d’un Lacoste clinquant. Et là ça y est, on y est.

Lancôme, Dior, les galeries Lafayette et Chanel se succèdent, la marche se ferme au premier croisement par un immense Monoprix. Le faste reprend un peu plus loin avec les diverses propriétés commerciales de LVMH. Et puis, comment le louper, le gros luxe qui tache : l’immense enseigne de Louis Vuitton. Les étrangers posent devant comme si c’était la Joconde. Sous l’enseigne dorée au sommet de sa gloire, la file d’attente fait déjà trente mètres, et il n’est pas encore midi. Mike, 64 ans, franco-américain et ancien directeur de banque, synthétise : « Ce n’est plus une belle avenue, c’est un shopping center. »

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Le haut de gamme tente de revenir en force sur les Champs, pour étouffer les marques populaires et peu chères qui ont tenté de s’y faire une place. Au milieu de l’avenue, Citadium et Zara se font face. La fast fashion n’a plus le cheap honteux, elle s’affiche sur les champs à côté d’une boutique Rolex. Les marques de vêtements à la vie courte veulent leur place, mais résistent difficilement aux prix des loyers délirants, et la désertion de l’avenue par les classes moyennes. Olivier, 45 ans, qui travaille dans la finance juste à côté de l’arc de Triomphe, constate une « amélioration » récente : « Il y a 10 ans, on voyait fleurir des H&M. Depuis quelques années, on voit davantage de Dior ou autres. »

Le Paris des étrangers

Mais ce retour au luxe a un prix : les Français quittent le navire. « C’est vraiment juste pour les touristes », convient Olivier, qui avoue ne pas beaucoup fréquenter le lieu. Un peu plus loin, Thierry, retraité de 73 ans, ne vient que pour déjeuner avec son fils, qui travaille sur l’avenue : « Entre l’insécurité et le luxe partout, les Français vont ailleurs. » Denis, riverain bourgeois qui flâne près du rond-point nouvellement refait, se plaint d’un « tourisme étranger bas de gamme ».

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Dominique, 58 ans, qui travaille dans le conseil, ne déplore pas le manque d’âme des Champs-Élysées, mais partage le constat : « Ce n’est qu’une vitrine commerciale pour les touristes et les grandes marques de luxe. C’est bien pour le savoir-faire qui est mis en avant, mais ça ne représente plus rien d’autre. »

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Il faudra débourser plus de 100€ pour parcourir l’avenue 20 minutes en Ferrari. Ça ne se refuse pas.
Antoine Margueritte

Devant l’immense « création » de Louis Vuitton, une malle géante en métal qui cache le chantier d’un hôtel, les touristes étrangers se succèdent, prennent la pose. Quelques mètres plus loin, le disneyland-Champs-Elysées offre une attraction « adult only ». Depuis 2011, deux Ferrari rouge vif sont disponibles à la location, pour parader façon fête foraine. 129 € les 20 minutes de pétarade. 199 € pour une Lamborghini.

La fête est finie

Si jadis, on faisait la fête sur les Champs, l’époque est révolue. Plus aucune boîte de nuit sur l’avenue, il faut grimper jusqu’à l’arc de Triomphe, pour espérer croiser quelques joueurs du PSG et la jeunesse dorée Parisienne, ou des pays du Golfe. « Le soir, c’est moins animé qu’avant, en tout cas plus de la même façon », confesse Anthony, serveur. Les parisiens font la fête ailleurs. Abir, 25 ans, analyste dans le quartier, le rejoint : « Je ne viens jamais boire un verre ici, je ne suis là que pour travailler. » Thibaut et Juliette acquiescent, c’est « uniquement un lieu de travail ».

La vieille génération est nostalgique. « Je fréquentais pas mal les Champs dans ma jeunesse ! Il y avait tous les cinémas. C’était toujours un rendez-vous plaisant. Après le film on buvait un coup dans un troquet à côté, maintenant je ne viens plus. Dans mon imaginaire, les Champs c’était la scène de Belmondo dans À bout de souffle, maintenant, c’est un point de bordel, on y passe en tenant son portefeuille », s’inquiète Manuel, 68 ans, président d’une société financière.

L’avenue du Golfe

La fermeture annoncée de l’UGC Normandie n’est que la dernière étape de l’effacement de la culture sur la célèbre avenue, après la clôture du Virgin Megastore en 2012. Dans les deux cas, c’est le Qatar qui tire ses marrons du feu inflationniste. Selon Le Figaro, la famille royale du pays gazier, propriétaire du bâtiment abritant le cinéma, a refusé de baisser son loyer « monstrueux » pour sauvegarder le lieu de projections.

En 2023, les loyers commerciaux de l’avenue atteignaient les 15 000 euros par mètre carré en moyenne, selon la société immobilière Cushman & Wakefield. Difficile de résister pour l’industrie, en crise, du septième art. Selon l’entreprise Comscore, plus de quatre millions de cinéphiles se pressaient à une projection en 2001. C’est huit fois moins en 2023. Depuis les années 1990, neuf salles de cinéma ont fermé, bientôt 10.

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Françoise, banquière de 58 ans, veut voir l’avenue en rose : « Il n’y a plus beaucoup de charme mais ça reste spectaculaire. L’avenue est plus verte qu’avant, et puis il y a toujours des cinémas aux alentours. »

14 heures, les Champs commencent à être bondés. Les touristes, téléphones à la main, remontent vers l’arc de Triomphe, et croisent les parisiens pressés en costume cravate, qui descendent déjeuner, et quitteront les lieux une fois la journée de travail finie. Les seuls jeunes qui ne sont ni des touristes ni des travailleurs traînent en bandes. Ils avancent lentement et fument quelques cigarettes devant les grandes boutiques, fausse sacoche Hermès en bandoulière. Dans la mythologie grecque et romaine, les Champs-Élysées sont le lieu de séjour des morts. Sur l’avenue, seul le luxe tape-à-l’œil vibre encore.

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