Dans le luxe, c’est l’équivalent d’une alliance entre deux familles royales. Et la fin d’une double indifférence feinte entre deux géants de leur industrie qui dura près d’un demi-siècle. Louis Vuitton ouvrira une boutique dans le mythique grand magasin Isetan à Tokyo. Selon nos informations, le fleuron de LVMH (actionnaire de Challenges) désertera le coin du carrefour de Shinjuku san-chome qu’il occupe actuellement, précisément en face d’Isetan, à l’occasion de la rénovation de l’immeuble. Pour le profane, c’est une info locale ; pour le professionnel du luxe, la nouvelle est de ces battements d’aile de papillon qui déclenchent des tornades à l’autre bout du monde. “C’est un changement d’ère”, prophétise un acteur du luxe.
Les grands magasins ont été historiquement les portes d’or du luxe étranger au Japon. Ces hyakkaten (“magasins aux cent comptoirs”) faisaient connaître depuis un siècle ses créations lorsque les maisons occidentales ouvrirent, à partir de la fin des années 70, des filiales dans l’Archipel pour reprendre la main sur leurs importateurs. Mais ils ont conservé une importance remarquable : selon plusieurs sources, un tiers des ventes des groupes de luxe se fait par le truchement des grands magasins, et deux tiers dans des boutiques en propre, soit un ratio anormalement élevé. Davantage que de simples places commerciales, ces magasins enrichissent souvent leur achalandage avec des restaurants, théâtres, galeries d’art – bref un “univers” de luxe dans lequel se lovèrent naturellement les maisons occidentales. “Dans les années 80, les grands magasins étaient une solution de facilité pour les maisons, en plus d’être de formidables soutiens. C’était une relation symbiotique, dans l’intérêt de tous”, raconte Roy Larke, rédacteur en chef de l’excellente revue spécialisée JapanConsuming.
Isetan, l’attraction méconnue du Japon
Avec le temps, beaucoup de grands magasins ont perdu de leur pertinence. Mais Isetan est demeuré le plus prestigieux d’entre eux. Au croisement de Shinjuku, un des quartiers de shopping les plus animés du monde, il est un de ces « mondes » dont l’atmosphère affluente rappelle Au bonheur des Dames d’Émile Zola. Toute la journée, ses rayons sont parcourus de l’électricité née du frottement entre clients et employé(e)s, joyeuse sarabande qui tourbillonne pendant les fêtes. Une véritable ruche en somme, qui se projette jusque chez ses clients à travers les gaisho, vendeurs de confiance pour particuliers aisés. Isetan est une des attractions trop méconnues du Japon, aussi pittoresque que les Galeries Lafayette sont parisiennes.
Si les grands magasins japonais ont tous une identité différente, même entre établissements du même groupe, Isetan se distingue des autres dans son soin à choisir ce qu’il proposera à sa clientèle. Il privilégie une présentation par produits, se conservant par là une fonction prescriptrice : chemises, cravates, parfums ont leur corner, dans lequel se décline l’offre, secondaire en importance, des maisons. Seule exception : une boutique Hermès, “située tout au bout du magasin afin de ne pas offusquer les autres”, décrypte un directeur de la maison. Cette particularité garantit à Isetan sa singularité, même parmi ses pairs, dans l’univers commercial pléthorique des grandes villes japonaises. “Par rapport aux autres grands magasins, Isetan est plus arrogant, plus gourmand en marge et plus inflexible”, griffe le directeur d’une marque d’électroménager distribuée chez lui.
LVMH avait toujours refusé les conditions du grand magasin Isetan
C’est justement ce trait qui empêchait jusqu’à aujourd’hui Louis Vuitton de rentrer chez Isetan. Si le grand magasin entretient avec LVMH d’excellentes relations (lors de sa visite annuelle au Japon, Bernard Arnault lui rend fréquemment visite), si Isetan accueille avec joie et intérêt une vaste partie du portefeuille des maisons du groupe, sa marque locomotive (LVMH ne communique pas ses chiffres par marque et pays, mais Louis Vuitton représente, de l’avis de tous, une part très significative, mais proportionnellement en baisse, des ventes dans l’Archipel), elle, n’y est jamais entrée, ayant toujours refusé les conditions du grand magasin. “Louis Vuitton est la première et longtemps unique maison qui géra directement sa présence au Japon, sans passer par un agent. Elle a toujours contrôlé très finement et intelligemment sa distribution. C’était la première à ouvrir des boutiques en propre, en parallèle avec sa présence en grand magasin. Elle est dans sa propre catégorie. Avec Isetan, c’est une relation entre égaux”, explique Roy Larke. “Ça a failli se faire plusieurs fois. Mais ces deux leaders ont leur propres modèles, leurs propres marges…“ raconte un familier des deux groupes.
Cherchant désespérément un emplacement dans cette partie de la capitale japonaise, de guerre lasse, Louis Vuitton trouva un temps refuge chez le concurrent d’Isetan, Mitsukoshi, presque en face, au courroux du premier (Isetan et Mitsukoshi ont depuis fusionné). En 2013, il jeta son dévolu sur un bâtiment en face d’Isetan, de l’autre côté de l’avenue Meiji Dori, moins prisé, au surplus dans un immeuble dont la façade doit s’accommoder d’un petit et disgracieux poste de police. Les maisons de luxe s’inquiètent de la dégradation de l’offre commerciale de cette partie de Tokyo, qui a récemment accueilli des maisons de moindre standing (Uniqlo, H&M, Bic caméra, le pharmacien bon marché Sugi…). Une proche boutique Burberry doit bientôt fermer ses portes, dit la rumeur, ce qui abîmera encore la valeur du quartier. En intégrant Isetan, Louis Vuitton n’aura plus à se préoccuper des alentours, protégé dans un écrin japonais à nul autre pareil. « Entre, Louis Vuitton ! »
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