Laissez-nous rêver ! » C’est ce que semblent dire les lectrices de la presse féminine en France. Les recettes de cuisine, conseils santé ou autres astuces jardin ont moins de succès qu’auparavant. Année après année, la tendance se creuse. Sur l’année 2000, les six magazines féminins les plus diffusés affichaient une baisse de diffusion comprise entre 16,2 % pourPrimaet 1 % pourMaxi.En cinq ans, la chute dePrimafrôle les 30 %, celle deModes&Travauxatteint 18,7 %, celle d’Avantages14,1 % et celle deFemme actuelleprès de 13 %. Sur des titres aussi lourds (Femme actuellediffuse 1,5 million d’exemplaires,Primaplus de 800 000,Maxi621 000), l’impact est considérable. Le cyclone a entraîné tous les groupes de presse, du leader de la presse féminine pratique en France (Prisma Presse) à Bauer (Maxi), en passant par Marie Claire (Avantages) ou Emap France (Modes&Travaux). Emportée par la baisse violente des poids lourds, la presse féminine voit ses ventes en kiosques diminuer de 5,8 % en 2001 après un recul de 4,4 % en 2000, selon les Nouvelles Messageries de la presse parisienne.
La montée en puissance des suppléments féminins de la presse quotidienne récemment fusionnés enVersion Femina,diffusés à quelque 3,6 millions d’exemplaires, a évidemment joué. Pourquoi acheter un féminin quand on vous en offre un avec votre quotidien régional ? Les grands titres souffrent aussi de l’atomisation des lectorats et de l’encombrement des linéaires qui proposent actuellement quelque trois cents féminins à la vente. Pour les éditeurs, l’exercice prend des allures de véritable casse-tête.« La question éditoriale, pour les grands généralistes, c’est la quadrature du cercle,explique Loïc Guilloux, directeur commercial de la diffusion de Prisma Presse.Sur chaque sujet traité (mode, beauté, décoration, etc.), les lecteurs ont le choix entre plusieurs magazines spécialisés. Et si, pour lutter, vous tentez d’approfondir ces thématiques dans des dossiers, par exemple, vous courez le risque d’être moins fédérateur. Et de perdre des ventes. »Les femmes sont aussi courtisées de part et d’autre de l’échelle des âges : par les féminins pour jeunes filles (lire page 48) et par les rouleaux compresseurs de la presse seniors :Pleine VieetNotre temps,essentiellement achetés par des femmes, écoulent chaque mois ensemble quelque deux millions d’exemplaires…
Plaisir en vogue
Ces causes « mécaniques », cependant, n’expliquent pas tout.« Les femmes s’écartent d’une vision utilitariste du monde,explique Benoît Roederer, directeur associé à Sociovision-Cofremca.Le travail, la consommation et l’argent sont moins au centre de leur vie. La crise est passée par là et l’on s’est demandé si cette accumulation de biens était vraiment utile. Nous nous dirigeons nettement vers l’immatériel, la culture, les loisirs. Les valeurs de plaisir, comme la décoration ou les arts de la table et tout ce qui touche à la créativité, ont actuellement le vent en poupe. »Rien d’étonnant, du coup, au succès d’unPsychologies magazine(+123% sur cinq ans, à 166 245exemplaires en 2000), explicatif et introspectif, ou d’unArt&Décoration(+31,5%, à 284 607 exemplaires sur la même période). Attaqués, les éditeurs cherchent la parade en affinant chaque jour les réglages.« Je ne pense pas qu’il existe une fatalité à la baisse,affirme Loïc Guilloux.Nous allons aérer la maquette, donner plus de pertinence à l’achat hebdomadaire avec des accroches fortes, sortir les titres d’une certaine régularité. »À ces niveaux de diffusion, l’impératif reste tout de même de ne pas effrayer la lectrice.« Il faut absolument résister à la tentation de monter en gamme,assure Jean-Paul Lubot, directeur délégué du pôle Emap Femmes.Nous devons plutôt réinventer le concept du pratique pour répondre à l’envie des femmes de faire les choses par plaisir et non plus par utilité. »La nouvelle formule deModes&Travauxa inauguré un cahier créatif et une nouvelle maquette plus élégante. Les ventes suivent, à la hausse depuis octobre, selon l’éditeur.
Haut de gamme dynamique
Cependant, le retournement de la tendance baissière reste encore à démontrer. Les éditeurs sont au moins certains d’une chose : l’époque où un féminin pratique pouvait flirter avec les deux millions d’exemplaires est révolue. Et il est difficile de compter sur la publicité pour combler le trou.« Si les marques présentes en grande distribution sélective veulent vraiment étendre leur marché, elles seront bien obligées de faire appel à la presse pratique »,affirme Martine Degueurce, directrice commerciale adjointe du pôle féminin de Prisma Presse. En attendant, les groupes de presse doivent chercher ailleurs des relais de croissance.
« Immatériel », « plaisir », « culture », « décoration » : les tendances de la société prêchent en faveur de la presse haut de gamme. Dans une année un peu sinistrée pour la presse magazine, celle-ci tire en effet correctement son épingle du jeu. La pagination publicitaire deVoguea progressé de 11 % en 2001, celle deL’Officiel de la coutureet duFigaro madamede 4 %, tandis queMarie ClaireetMarie Francegagnent respectivement 5 et 3 points. L’hebdomadaireEllelimite la décrue à – 4 % etJalouseà – 2 %. Rien de bien grave. Dans le même temps, la pagination deCôté femmea reculé de 32 %, celle deModes&Travauxde 13 % et celle deFemme actuellede 10 %.« Le haut de gamme est un segment très dynamique : l’élévation du niveau de vie, incontestable pour une catégorie de la population, entraîne des aspirations d’esthétique et de qualité,confirme Anne-Marie Couderc, directrice générale adjointe de Hachette Filipacchi Médias France.Par ailleurs, depuis deux ou trois ans, les marques de luxe répondent à une aspiration plus large de la société vers les valeurs de prestige qu’elles véhiculent en créant de multiples accessoires – bijoux, sacs, porte-monnaie, etc. – accessibles à tous, qui ont considérablement élargi leur public. »
Marier glamour et luxe
Cette évolution lourde n’est pas étrangère à l’offensive de Prisma Presse sur le haut de gamme, avecFemme.Son patron, Axel Ganz, a inauguré lui-même en grande pompe, à la rentrée, le lancement de la nouvelle formule du titre, confié à une ancienne d’Elle,Isabelle Lefort. Laurent Jalou l’avait précédé en 1997 avec la création deJalouseet Hachette avecIsa,dont le positionnement est cependant un peu différent. Reste le plus difficile.« Il est plus simple de réaliser un féminin pratique, comme le font certains magazines de marque, que de faire du haut de gamme en restant glamour dans les univers de la mode, du luxe ou du rêve »,affirme Aline Moreau, directrice du département presse de MPG Arena. La recette ?« On s’adresse à la Parisienne telle qu’on l’imagine,répond Carine Roitfeld, rédactrice en chef deVogue.Une femme pétillante qui a de la personnalité, suit la mode, part aisément pour New York ou Berlin. À travers nos choix, c’est un univers que l’on crée et auquel on donne envie d’appartenir. »Facile à dire… Le créneau compte déjà des morts. Pour des magazines commeJalouseouNuméro,désormais appréciés des annonceurs haut de gamme, des titres commePersoouDépêche modeont jeté l’éponge. D’autres doivent encore faire leurs preuves.« SiFemmeest un journal haut de gamme, moi, je suis le pape »,tranche un concurrent.
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