Profession négociateur en immobilier de luxe

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Les groupes immobiliers de luxe ne sont pas inquiets : le marché français des biens de prestige se porte bien. Et plus les biens sont onéreux, plus les opérations sont rapides et simples. Malgré la digitalisation grandissante du marché et l’essor de réseaux de mandataires hors-sol, les agents immobiliers semblent toujours avoir la cote et mettent en avant les atouts de leur métier : des agences physiques et une relation de proximité qui rassurent les propriétaires, une profession régulée, une carte professionnelle et des formations continues obligatoires. Mais l’assouplissement de la loi Hoguet, qui réglemente l’activité depuis plus de cinquante ans, pourrait rebattre les cartes d’un système bien rodé.


“Le marché ne changera pas, tranche immédiatement Charles-Marie Jottras, président du groupe immobilier de luxe Daniel Féau. Le premier segment de nos offres se situe entre 1 et 2 millions d’euros. Au-delà, pour une clientèle fortunée, le marché n’est quasiment pas affecté, que ce soit en France ou à l’international car le secteur ne connaît pas de problème de financement.” Par ailleurs, le réseau dit ne constater aucune baisse des prix à Paris, où il fait la plus grande partie de son chiffre d’affaires. Les derniers chiffres montrent une légère hausse pour l’exercice actuel (+1,5 %) en ce qui concerne le segment de l’immobilier de prestige. “L’année 2023 ne sera pas si mauvaise après une année 2022 exceptionnelle”, poursuit Charles-Marie Jottras. “C’est même une très bonne année, car les clients ne sont pas sensibles à la hausse des taux d’intérêt, confirme Angie Delattre, cheffe du réseau d’agences Michaël Zingraf Real Estate à Cannes et sa région. Nous avons même constaté une hausse des ventes de plus de 10 millions d’euros.”

“Plus les biens de prestige sont onéreux, plus les opérations sont rapides et simples”

Pour Julien Haussy, fondateur du réseau Espaces Atypiques, “le secteur connaît un ralentissement même au-dessus d’un ou deux millions d’euros”. S’il note un contraste selon les régions, il remarque par ailleurs que “même les clients qui ont de gros moyens et opèrent sans financement veulent négocier, et en face les propriétaires ont moins la pression pour vendre et peuvent attendre”. En somme, plus les biens de prestige sont onéreux, plus les opérations sont rapides et simples.

Des agences moins fréquentées

Au milieu des années 2010, les recherches de biens s’effectuaient largement par le biais du numérique, et la tendance d’une baisse du nombre d’agences immobilières dotées de vitrines avait été actée. Aujourd’hui, cette diminution semble moins linéaire. “Dans les endroits stratégiques, nous ne constatons pas du tout de disparitions d’agence, témoigne Angie Delattre. Il est vrai que moins de clients franchissent la porte des agences mais elles restent une vitrine qui rassure et qui constitue l’image de la marque.” La région cannoise séduit très majoritairement les Européens du Nord aisés, attirés par des résidences secondaires. “Nous avons démarré sans agence pendant deux ans, se souvient Julien Haussy. Nous nous sommes rendu compte avec le temps qu’il fallait une vitrine. Si Internet fonctionne à plein pour les acheteurs, il est rassurant pour les propriétaires d’avoir une agence qui a pignon sur rue.” En 2014, Espaces Atypiques s’est ouvert à la franchise et compte maintenant 85 agences en France. “C’est un mouvement en cours en province. Les agences locales ont tendance, petit à petit, à voir leurs parts de marché baisser au profit de réseaux hors-sol, analyse Charles-Marie Jottras. Je pense à des réseaux commerciaux, comme IAD, mais ça n’a pas mordu à Paris et ça ne mordra pas.”

Mandataires immobiliers, flexibilité maximale

IAD s’appuie sur des mandataires immobiliers, qui sont des conseillers immobiliers indépendants appartenant généralement à des réseaux. Les mandataires ne sont pas tenus d’avoir une carte professionnelle d’agent immobilier tant que la personne à la tête du réseau en possède une. “Avec l’émergence de ces réseaux de mandataires, il est essentiel de bien distinguer qui est agent immobilier et qui ne l’est pas, conseille Christian Quimaud-Boivin, président de Némésis, société de conseil en optimisation de la performance des professionnels de l’immobilier. Certains se font passer pour des agents sans l’être.” Actuellement, en France, quelque 120 000 mandataires exerceraient contre une trentaine de milliers d’agents immobiliers. “Cela reste une façon de travailler tout à fait pertinente car de moins en moins de personnes se rendent dans les agences” estime Christian Quimaud-Boivin. Le système des mandataires, qui ne sont pas salariés mais indépendants, apporte de fait une plus grande flexibilité au milieu de l’immobilier en général. “Mais les agences vitrées ont des équipes plus resserrées et sont en général plus attentives aux règles que dans certains réseaux de mandataires”, ajoute le dirigeant de Némésis.

Reste que dans le milieu très exclusif de l’immobilier de prestige, les professionnels qui accompagnent les clients dans leurs demandes développent une approche commerciale bien particulière. Bien cerner la personne et ses besoins, maîtriser les codes de cette catégorie de vendeurs et d’acheteurs hors normes, manier plusieurs langues et ériger la confidentialité en valeur cardinale sont quelques-unes des compétences de base de l’agent immobilier ou du mandataire opérant dans le secteur du luxe. Un milieu qui fonctionne sur des réseaux très étroits, et qui peine parfois à se débarrasser de son aura d’opacité.

Agents immobiliers, cote en hausse

Il faut bien constater en effet qu’en France, le métier d’agent immobilier revient de loin en matière d’image. “Ce n’est pas forcément un monde merveilleux mais l’indice de satisfaction de la population monte à 73 %. Un très bon résultat qui s’améliore au fil des ans”, note Christian Quimaud-Boivin, de Némésis. “Les agents n’avaient pas tous bonne réputation il y a quinze ans, la situation s’est beaucoup améliorée”, déclare Julien Haussy, qui se souvient pourquoi il a aussi fondé Espaces Atypiques, un réseau où les agents ne sont pas mis en concurrence mais fonctionnent par secteurs. “Je voulais une approche différente, empathique, humaine. Nous recrutons des personnes sur des valeurs plus que sur des compétences.”

“Les agents n’avaient pas tous bonne réputation il y a 15 ans, la situation s’est beaucoup améliorée”

La loi Hoguet, qui réglemente l’activité et impose aux agents immobiliers d’obtenir une carte professionnelle, a fêté en 2020 ses 50 ans mais n’a connu que peu d’évolution si ce n’est en 2014 avec la loi Alur. La carte professionnelle se renouvelle depuis tous les trois ans au lieu de dix, et est délivrée par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) et non plus par les préfectures. Elle a aussi rendu obligatoire des formations continues pour tous les professionnels. “La profession en France est l’une des plus régulées d’Europe et même par rapport aux États-Unis”, ajoute Charles-Marie Jottras, président du groupe Daniel Féau.

Des contrôles suffisants ?

Aujourd’hui, des organismes tels que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou des syndicats comme la Fnaim contrôlent la profession. La loi Alur avait également marqué la création du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI). “Le nombre de contrôles des agences va croissant mais concerne surtout la publication des annonces et la publicité, valide Christian Quimaud-Boivin (Némésis). La plupart des agents immobiliers respectent les habilitations mais d’autres s’en départent beaucoup, un point encore trop peu contrôlé.” Il est tout à fait possible de consulter sur le site de la CCI les titulaires de la carte professionnelle. La formation, 42 heures sur trois ans, peut paraître trop peu approfondie mais la plupart des grandes enseignes veillent à la montée en compétences de leurs agents en dépassant le nombre d’heures de formation requises. “Il ne faut surtout pas laisser croire que tout le monde peut exercer ce métier”, conclut Christian Quimaud-Boivin. D’autant plus dans le secteur de l’immobilier haut de gamme.

Benjamin Pruniaux

3 questions à…
Patrice Besse, président du groupe Patrice Besse

patrice-besse

patrice-besseLe groupe Patrice Besse est spécialisé dans la vente d’édifices de caractère. De quel type de biens parle-t-on ?
Il s’agit de tout édifice, du plus petit au plus grand, dont les caractéristiques architecturales, historiques et environnementales sont remarquables. À ce titre, nous nous occupons beaucoup de monuments historiques. Au total, notre groupe, qui compte 160 collaborateurs, est en charge de la vente de plus de 600 biens de caractère en France. Nous avons vendu au cours de l’été un bien à l’euro symbolique, mais nous avons aussi réalisé la vente de l’un des plus importants châteaux historiques français.

L’immobilier classique connaît de vrais changements, avec notamment une baisse marquée des prix. Qu’en est-il pour les biens présents dans votre portefeuille ?
Il est très difficile dans notre marché d’étalonner les biens car tous sont différents et aucun n’est comparable. Le patrimoine a en tout cas le vent en poupe : nous continuons d’avoir plus de 600 demandes d’acquéreurs par semaine, notamment des étrangers. Lorsqu’ils s’adressent à nous, nos acquéreurs cherchent à bâtir un projet de vie et ne sont pas dans l’urgence de trouver un bien pour se loger.
Ils sont du coup moins sensibles aux fluctuations du marché et, quand un bien est proposé et leur plaît, ils franchissent facilement le pas sans se poser la question de la revente. Notre marché se porte donc plutôt bien, mais nos acquéreurs veulent de plus en plus d’informations. Ils ne connaissent pas forcément bien la région dans laquelle ils vont s’implanter et c’est à nous de leur faire découvrir, de leur faire rencontrer les interlocuteurs dont ils auront besoin.

Qu’avez-vous mis en place pour cela ?
Nous formons nos conseillers en interne, dans notre propre école de formation, autant sur le bien et ses particularités architecturales ou historiques, que sur l’urbanisme, l’environnement et certains sujets techniques comme la législation des monuments historiques, le droit de l’eau, le droit rural… Les sujets que nous abordons sont très divers puisque notre mission s’élargit, ce qui rend d’ailleurs notre travail chaque jour plus intéressant.

Vers un assouplissement des règles d’exercice ?

Une bombe a été larguée sur le secteur de l’immobilier cet été avec un rapport mandaté en 2022 par Bercy et rendu public par l’Autorité de la concurrence. L’idée générale est d’assouplir la loi Hoguet de 1970 qui réglemente les ventes et achats immobiliers, ainsi que le métier d’agent immobilier avec la carte professionnelle, l’assurance de responsabilité civile professionnelle, etc. L’Autorité de la concurrence entend ainsi libéraliser davantage le marché et faire baisser les frais d’agence à 4 %, comme c’est le cas ailleurs en Europe, contre 5 à 7 % en France.

Mais ce prétexte d’uniformisation à l’échelle continentale provoque l’ire du secteur. “Le sujet serait d’alléger les conditions d’accès à la profession, comme dans d’autres pays d’Europe où n’importe qui ou presque peut devenir agent immobilier, analyse Christian Quimaud-Boivin, président de Némésis, société de conseil en optimisation de la performance des professionnels de l’immobilier. En France, c’est plus compliqué si les choses se déroulent dans les règles.”

Le rapport recommande également la fin de l’obligation, pour l’obtention de la carte professionnelle d’agent immobilier, d’un niveau d’étude à bac + 3 en droit, en économie ou en commerce. En sus, l’agent nouvelle version devra aussi produire une liste détaillée des prestations rendues afin que le client dispose d’un bilan précis de ce pour quoi il paiera pour mieux négocier les honoraires. “Sous couvert d’une protection accrue des consommateurs, l’organisation du métier va se trouver modifiée, avec l’idée que l’agent ne doit plus s’occuper que de la négociation menant à l’accord entre les parties, tente de comprendre Christian Quimaud-Boivin. Tout un travail d’accompagnement est pourtant effectué en amont. Il ne faut pas être un spécialiste de tout mais certaines notions sont à maîtriser pour bien conseiller.” Pour le moment, les syndicats sont vent debout contre cette idée, arguant justement un manque de protection des clients entraîné par ces préconisations, ou une harmonisation européennes qui tirerait, dans ce secteur, la France vers le bas.

Le bon filon des locations saisonnières de luxe

Les agences immobilières haut de gamme ne prospèrent pas seulement avec la vente de biens de prestige. Les locations saisonnières sont une autre partie importante de l’activité, surtout dans les régions très touristiques ou économiquement attractives. Paris, la Côte d’Azur ou encore les Alpes figurent parmi les destinations phares des touristes fortunés. Ce sont aussi les lieux où le nombre d’offres est pléthorique. Dans la région cannoise, le site de Michaël Zingraf Real Estate propose une centaine d’adresses plus prestigieuses les unes que les autres. “Les locations saisonnières ont toujours autant de succès et avec une clientèle très fidèle, explique Gery Todorova, responsable des locations saisonnières sur la région cannoise, de Mandelieu jusqu’au Cap d’Antibes. Les tarifs sont très larges et s’étendent de 10 000 à plus de 250 000 euros la semaine.” À ce tarif, l’agence immobilière ne fait pas que remettre les clefs et assure un grand nombre de services pour ses clients exigeants, qui viennent principalement du Moyen-Orient et de Russie.

Une telle gamme de prix assure ainsi des revenus substantiels à une agence. Dans une fourchette plus modeste, Julien Haussy, président et fondateur du réseau Espaces Atypiques (85 agences en France) a lancé les locations saisonnières récemment pour étoffer l’activité de son réseau. “Nous commençons tout juste en nous concentrant sur la Charente-Maritime, annonce-t-il. Cela démarre très fort, avec de très belles villas qui partent très vite.” L’île de Ré, l’île d’Oléron et la côte charentaise forment un groupe encore restreint d’environ dix biens d’exception. “Nous souhaitons développer cette activité ailleurs en France”, poursuit-il. Les locations “éphémères” attirent également de plus en plus les professionnels en quête de lieux d’exception le temps de colloques ou de séminaires, ou encore de tournages ou de shooting.

En juin 2023 :
– Prix moyen d’un bien de prestige : 7 395 €/m2, soit + 7,9 % sur un an.
– Le marché immobilier traditionnel enregistre une hausse de 0,9 % en moyenne.
Source : Meilleurs Agents

7 395 €/m2 : c’est 75 % de plus que la moyenne des prix constatée sur le marché traditionnel (3 175 €/m2).
Source : Belles Demeures

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