Ferrari a encore accéléré au troisième trimestre. La marque de voitures ultra luxueuses a affiché un bénéfice net de 332 millions d’euros entre juillet et septembre, soit une hausse de 45,7% par rapport au troisième trimestre 2022. Mais surtout, ce résultat est supérieur au consensus des analystes de référence Factset qui tablaient sur 294 millions d’euros. Une nouvelle qui a fait grand bruit et a séduit les investisseurs, faisant monter le cours de son action de 5,2% sur la séance de ce jeudi, date de publication de ses résultats.
A l’opposé, la marque de véhicules haut de gamme Tesla a subi les foudres de la Bourse en voyant son titre chuter de près de 9% le 19 octobre, après l’annonce d’un résultat du troisième trimestre, inférieur aux attentes du marché.
Même constat du côté du luxe traditionnel (maroquinerie, joaillerie, parfumerie, etc) qui affiche des résultats très disparates. Alors que LVMH, Kering ou encore l’Oréal ont fait moins bien qu’attendu, et en ont immédiatement payé le prix en Bourse, la marque d’ultra-luxe Hermès a battu le consensus et a vu son action – déjà très chèrement valorisée – augmenter de 2,8% dans la journée du 24 octobre, juste après la publication de ses résultats. Un constat saute donc aux yeux des investisseurs : le luxe est en train de se scinder en deux.
Clientèle très aisée et peu sensible à l’inflation
D’un côté, le luxe dit « abordable », patine. « LVMH, par exemple, a subi une baisse de la croissance de ses ventes car ses clients, qui sont plutôt issus de la classe moyenne supérieure ont été impactés par l’inflation et ont tendance à reporter leurs achats », décrit Emeric Blond, gérant actions chez Taylor AM.
De l’autre, l’ultra-luxe semble voler au-dessus des nuages et faire fi de la baisse de la consommation mondiale. « Ce segment de marché s’adresse à des clients très aisés qui ne sont pas très touchés par l’inflation et qui n’ont pas perdu beaucoup de pouvoir d’achat, étant donné qu’il n’y a pas eu de krach boursier et immobilier », explique Charles-Louis Scotti, analyste chez Kepler Chevreux et responsable de la recherche dans le secteur du luxe.
Une clientèle donc peu sensible aux hausses de prix qui permet à Ferrari ou Hermès de maintenir la croissance de leurs ventes et surtout leurs marges. Le constructeur Ferrari affiche ainsi une marge d’exploitation d’environ 25% contre 9,7% pour Tesla et de 12,4% pour Stellantis, quand Hermès affiche une marge insolente de 38%, contre 27% pour LVMH et 20% pour L’Oréal.
Ce phénomène de polarisation du marché du luxe était déjà visible lors des précédentes crises, notamment celle de 2008. Mais la surperformance de l’ultra-luxe « est exacerbée aujourd’hui car beaucoup de marques de luxe « plus abordable » ont profité de la forte consommation pendant la pandémie (et au sortir, ndlr), avec des croissances à deux chiffres, et souffrent maintenant d’un retour à la normale de la consommation des clients de la classe moyenne supérieur, quand l’ultra-luxe maintient toujours de très bons résultats », détaille l’analyste de Kepler Chevreux.
Culture de la rareté
Le succès des marques ultra premium vient aussi et avant tout d’une stratégie bien particulière de gestion de la rareté de leurs produits. « Le carnet de commandes reste au plus haut niveau dû à une forte demande dans toutes les zones géographiques et couvre l’ensemble de l’année 2025 », s’est notamment félicité ce jeudi le PDG de Ferrari, Benedetto Vigna, dans un communiqué.
Car c’est bien dans le faible volume offert que réside tout ou partie de la bonne santé des groupes d’ultra-luxe. La marque au cheval cabré a vendu 3 945 voitures au troisième trimestre, très loin de Tesla (435.000) ou encore de la marque Renault (356.000). De même, Hermès affiche un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros au dernier trimestre, plus de six fois inférieur à celui de LVMH (19,9 milliards).
« Ces groupes ont fait le choix de réguler l’offre, quitte à afficher moins de croissance, pour augmenter la rareté et la désirabilité de leurs produits et justifier leurs prix », analyse Emeric Blond de Taylor AM. Fin 2022, le créateur des sacs « Birkin » a même annoncé réduire sa production pour s’assurer que l’image de marque de ses produits reste toujours très désirable.
Un segment de marché avec ses propres risques
Ce luxe à deux vitesses devrait être encore plus visible dans les mois à venir selon certains analystes. « Les produits d’ultra-luxe comportent, de plus, une dimension de réserve de valeur, voire d’investissement qui pourrait être appréciée par les clients en 2024 (en cas de dégradation des perspectives économiques, ndlr) », note aussi l’analyste Charles-Louis Scotti.
Reste que l’image de marque de l’ultra-luxe constitue la clé du succès d’Hermès et de Ferrari, mais aussi leur principal risque.
« Ils ne sont pas à l’abri de subir un déclassement de leur image de marque. Un concurrent d’Hermès pourrait très bien apparaître dans le futur et menacer la désirabilité de ses sacs », prévient le gérant de Taylor AM.
De même pour Ferrari qui va devoir trouver un moyen de préserver l’image de ses véhicules, dans un monde qui se dirige vers l’interdiction des moteurs thermiques.
Dans l’immobilier aussi, l’ultra-luxe sèche le reste du marché
La Bourse n’a pas l’apanage de la scission du luxe en deux. Le même phénomène est constaté dans l’immobilier. Ainsi, alors que le volume de vente des biens entre 1 et 3 millions d’euros a baissé de 26% en 2023 chez le réseau Barnes, spécialiste de l’immobilier haut de gamme, les transactions de biens d’ultra-luxe de plus de 3 millions d’euros ont augmenté de 7% sur la même période.
Là encore, ce phénomène s’explique par une clientèle qui possède beaucoup de patrimoine et ne souffre pas de la hausse du coût du crédit, contrairement au reste du marché. Mais surtout, les biens d’exceptions ne représentent qu’une centaine de vente sur un total de plus de mille transactions chez Barnes. « L’offre de très beaux biens est tellement plus faible que la demande, que cela maintient les prix, et empêche nombre d’acheteurs de négocier », reconnaît Richard Tzipine, directeur général du gestionnaire immobilier.
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