Coup de froid sur le secteur du luxe. Après plusieurs années fastes, les ventes des trois géants tricolores du secteur marquent le pas. LVMH et Hermès ont, en effet, fait état d’un net ralentissement de la croissance de leur chiffre d’affaires au troisième trimestre, en hausse de 1% pour le premier et de 7,3% pour le second. Une croissance que n’a pu atteindre Kering, qui a affiché un recul significatif de 13% par rapport à la même période de l’année dernière. La faute à un contexte économique morose miné par l’inflation et aux incertitudes liées à la situation géopolitique mondiale. « On constate une baisse de la demande généralisée pour les produits de luxe, notamment en Europe et aux Etats-Unis », confirme Antoine Fraysse-Soulier, spécialiste chez eToro.
Si le recul des ventes en Chine est fréquemment cité par les observateurs pour expliquer le retour sur terre du marché du luxe, c’est surtout aux Etats-Unis, le premier marché mondial du luxe, que la demande est à la traîne. « C’est vraiment sur ce marché, plus qu’en Chine, qu’on observe une décélération massive », souligne Joëlle de Montgolfier, membre du pôle Etudes & Recherche pour la grande consommation, la distribution et le luxe dans le monde de chez Bain Company. Les Américains sont fortement touchés par le contexte macroéconomique actuel. Yves-Saint-Laurent, la marque de Kering qui enregistre une baisse de ses ventes de plus de 10%, est par exemple fortement exposée au marché américain.
Même son de cloche pour LVMH. Sur les neuf premiers mois, les Etats-Unis ont enregistré la croissance du chiffre d’affaires (+3%) du groupe la plus faible par rapport au Japon (31%), à l’Asie (19%) ou encore à l’Europe (16%). Le cognac et les spiritueux, qui ont enregistré une baisse de 14% des ventes, ont été fortement touchés par la faiblesse de la demande des Etats-Unis, précise le groupe de luxe. « Les Américains font davantage d’arbitrage dans leurs dépenses : moins de frivolité et plus de dépenses nécessaires », ajoute Joëlle de Montgolfier. La marque aux carrés de soie, Hermès, n’enregistre pas de son côté de difficultés sur ce marché. « La marque est plus haut-de-gamme, ses clients ne sont pas affectés par le prix du coût de la vie », explique l’experte.
Coup de frein en Asie
Pour autant, l’Asie montre des signes de ralentissement. En Chine, Gucci a vu son chiffre d’affaires reculer de 14%. Même Hermès, qui s’en est plutôt bien sorti, enregistre un léger recul de 0,1% ce trimestre. Et ce pour plusieurs raisons. La première est que la base de comparaison avec 2023 est très défavorable. Et pour cause : avec la fin du confinement en Chine l’an dernier, les consommateurs se sont rués dans les magasins et le troisième trimestre 2022 a été plutôt exceptionnel pour les marques du secteur du luxe. « C’était sans doute le meilleur trimestre en Chine l’année dernière », pointe dans une note Luca Solca, analyste de chez Bernstein.
Autre phénomène : le ralentissement de la croissance, après des années à deux chiffres. Le dragon chinois s’est retrouvé pénalisé par la crise sanitaire. Au troisième trimestre, la croissance du pays s’établit à 4,9%, contre 6,2% au trimestre précédent. Les consommateurs chinois ne sont « pas nécessairement prêts à soutenir la croissance comme par le passé », explique le groupe financier Hargreaves Lansdown dans une note. « La chine a du mal à redécoller, on constate un léger redémarrage mais moins que ce qui était attendu », complète l’analyste de chez eToro, Antoine Fraysse-Soulier.
Une normalisation du secteur ?
Pour de nombreux analystes, les résultats mitigés du secteur du luxe correspondent surtout à une normalisation après la période d’euphorie post-confinement. « Il y a eu un effet post-pandémie important, et le secteur a même bien marché durant la pandémie, on assiste donc à une normalisation », affirme l’analyste de chez eToro. « Le temps nous dira, en fonction de la profondeur et de la durée du cycle, s’il s’agissait d’un véritable cycle de consommation ou simplement d’un sursaut après trois années extraordinaires », estime de son côté LVMH lors d’un échange avec des analystes, cité par l’AFP.
« Sur le long terme, le marché croît bon an mal an à un taux normatif de 6% par an », explique Joëlle de Montgolfier de chez Bain Company. Mais en 2021 et 2022, le secteur a connu des taux de croissance à deux chiffres. « Dans la durée, le marché ne peut pas tenir ce rythme, ce n’est pas possible de produire autant, surtout sur ce genre de biens exclusifs avec des matières premières sophistiquées », argumente-t-elle. Avant de conclure en rassurant : « Ce n’est pas du tout un secteur sur lequel on prédit un crash ».
Hermès bon élève, Kering à la traîne
Dans le détail, LVMH, numéro un mondial, a vu ses ventes ralentir au troisième trimestre. Son chiffre d’affaires s’établit à 19,96 milliards d’euros. Rien d’alarmant néanmoins pour le groupe de Bernard Arnault qui, sur les neuf premiers mois de l’année, enregistre tout de même une hausse de 10% par rapport à l’année dernière, soit 62,20 milliards d’euros. « Malgré un chiffre d’affaires assez stable, c’est une déception », relève l’analyste. Le groupe aux 75 marques, allant de Louis Vuitton et Dior à Tiffany ou encore Hennessy, « pâtit de sa diversification », confie-t-il. Car LVMH, ce n’est pas que de la mode et de la maroquinerie. C’est aussi des vins et spiritueux, qui enregistrent dès lors des baisses de ventes de l’ordre de 20%. Les ventes de montres et de joaillerie ont diminué quant à elles de 5%.
Le bon élève, c’est Hermès. A contrario de LVMH, le groupe possède peu de marques et se concentre sur sa marque phare, au nom éponyme. Le sellier-maroquinier « a publié les résultats les plus solides avec une croissance du chiffre d’affaires à deux chiffres », analyse Antoine Fraysse-Soulier. Le montant total des ventes augmente donc de 15,6% à taux de change constant (c’est-à-dire en retirant l’effet du taux de change). Des résultats au-delà des attentes des analystes. « Face à une conjoncture défavorable, cela montre la résilience du sellier », complète-t-il, « Hermès peut compter sur une base de clients fidèles à sa marque ».
Kering, le groupe qui possède entre autres Yves Saint Laurent, Gucci, ou encore Alexander McQueen, est, lui, à la traîne. Le numéro deux mondial voit son chiffre d’affaires chuter de 13% sur un an, au troisième trimestre, à 4,464 milliards d’euros. Toutes ses marques sont en repli, notamment Gucci qui représente près de 50% du chiffre d’affaires total de Kering. « Yves Saint Laurent, qui était bien repartie depuis la pandémie et prenait le relais de Gucci, voit un recul de ses ventes de l’ordre de 12% ce trimestre », note l’analyste.
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